La Croix pour l’ombre

Le Fou d’Elsa  

Chapitre I  /  Chants du Medjnoûn

♦ La Croix pour l’ombre

Les gens heureux n’ont pas d’histoire

C’est du moins ce que l’on prétend
Le blé que l’on jette au blutoir
Les bœufs qu’on mène à l’abattoir
Ne peuvent pas en dire autant
Les gens heureux n’ont pas d’histoire

C’est le bonheur des meurtriers
Que les morts jamais ne dérangent
Il y a fort à parier
Qu’on ne les entend pas crier
Ils dorment en riant aux anges
C’est le bonheur des meurtriers

Amour est bonheur d’autre sorte
Il tremble l’hiver et l’été
Toujours la main dans une porte
Le cœur comme une feuille morte
Et les lèvres ensanglantées
Amour est bonheur d’autre sorte

Aimer à perdre la raison
Aimer à n’en savoir que dire
À n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saison
Que par la douleur du partir
Aimer à perdre la raison

Ah c’est toujours toi que l’on blesse
C’est toujours ton miroir brisé
Mon pauvre bonheur ma faiblesse
Toi qu’on insulte et qu’on délaisse
Dans toute chair martyrisée
Ah c’est toujours toi que l’on blesse

La faim la fatigue et le froid
Toutes les misères du monde
C’est par mon amour que j’y crois
En elle je porte ma croix
Et de leurs nuits ma nuit se fonde
La faim la fatigue et le froid


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Lexique et notes

Medjnoûn : arabe, fou, possédé.
Surnom de l’Amirite Kéïs an-Nadjdî, poète préislamique bédouin, et personnage de divers poèmes (Nîzâmî, Djami, etc) portant le titre Medjnoûn et Leïlâ.
Dans ce poème-ci, surnom donné au Fou de Grenade, Keïs Ibn an-Nadjdî, appelé le Fou d’Elsa.
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