Pierre de Ronsard (1524-1585) Ode XXI
Ny la fleur qui porte le nom
D’un mois et d’un dieu *, ny la rose,
Qui dessus la cuisse d’Adon
D’une playe ** se vit esclose ;
Ny les beaux oeillets empourprés
Du teint de Bellone, ni celle
Fleurette qui, parmy les prés,
Du nom d’hyacinthe s’appelle ;
Ny celle*** qui jaunit du teint,
De la fille trop envieuse,
En voyant le Soleil atteint
D’une autre plus belle amoureuse ;
Ny celle qui, dessur le bord
D’une belle source azurée,
Nasquit sur l’herbe après la mort
De la face trop remirée ;
Ny les fleurons que diffama
Venus, alors que sa main blanche
Au milieu du lis renferma
D’un grand asne le roide manche ;
Ny la blanche fleur qui se fist
Des larmes d’Heleine la belle,
Ny celle que Junon blanchist
Du laict de sa tendre mamelle,
Quand, faisant teter le dieu Mars
Du bout de sa fraize esgoutée,
Le laict qui s’escouloit espars
Fit au ciel la voye laictée,
Ne me plaisent tant que la fleur
De la douce vigne sacrée,
Qui de sa nectareuse odeur
Le nez et le coeur me recrée.
Quand la Mort me voudra tuer,
A tout le moins, si je suis digne
Que les dieux me daignent muer,
Je le veux estre en fleur de vigne,
Et m’esbahis qu’Anacreon,
Qui tant a chery la vendange,
Comme un poëte biberon,
N’en a chanté quelque loüange.
* La violette de mars
** De la playe que Venus se feit parmy des espines accourant à la blessure de son Adonis, mourant par la jalousie de Mars.
*** Le soucy
Oeuvres complètes de P. DE RONSARD Deuxiesme Livre TOME II
A PARIS chez P. JANNET, Libraire – MDCCCLVII
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René Char IV. A une sérénité crispée
J’aime l’homme incertain de ses fins comme l’est en avril, l’arbre fruitier.
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Cet instant où la beauté, après s’être longtemps fait attendre surgit des choses communes, traverse notre champ radieux, lie tout ce qui peut être lié, allume tout ce qui doit être allumé de notre gerbe de ténèbres.
1948-1950 Recherche de la base et du sommet ( Collection Poésie NRF Gallimard)
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PATER NOSTER de Jacques Prévert
Notre père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l’Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
offertes à tout le monde
Eparpillées
Emerveillées elles-mêmes d’être de telles merveilles
Et qui n’osent se l’avouer
Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs
reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l’acier des
canons.
Jacques Prévert Paroles Gallimard Folio p.58