Paul Valéry et le « langage du bonheur »

31 décembre 2021


1871-2021  
Cent-cinquantenaire de la naissance de Paul Valéry

Né à Sète en 1871, Paul Valéry, de père corse et de mère italienne, est un poète d’exception, un poète unique.

À 18 ans, en 1889, découvrant la poésie symboliste, il écrit une centaine de poèmes qui parurent dans des Revues, entre 1890 et 1893.
C’est en 1942, soit trois ans avant la mort de Paul Valéry, que Librairie Gallimard, éditeur. publie l’ouvrage Poésies qui regroupe (entre autres) : 

             Album des vers anciens – La Jeune Parque – Charmes.

Paul Valéry choisit la prose de L’Amateur de Poèmes  pour  terminer l’Album des vers anciens.
 Mais comme pour tous ses poèmes, il nous invite  à nous faire
  «
l’instrument de la chose écrite, de manière que notre voix,
notre intelligence et tous les ressorts de notre sensibilité se soient             composés pour donner vie et présence puissante à l’acte de création        de l’auteur
».

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                                                   L’ Amateur  de  Poèmes

 

  Si je regarde tout à coup ma véritable pensée, je ne me console pas de subir cette parole intérieure sans personne et sans origine ; ces figures éphémères ; et cette infinité d’entreprises interrompues par leur propre facilité, qui se transforment l’une dans l’autre, sans que rien ne change avec elles. Incohérente sans le paraître, nulle instantanément comme elle est spontanée, la pensée, par sa nature, manque de style.

  MAIS je n’ai pas tous les jours la puissance de proposer à mon attention quelques êtres nécessaires, ni de feindre les obstacles spirituels qui formeraient une apparence de commencement, de plénitude et de fin, au lieu de mon insupportable fuite.

  UN poème est une durée, pendant laquelle, lecteur, je respire une loi qui fut préparée ; je donne mon souffle et les machines de ma voix ; ou seulement leur pouvoir, qui se concilie avec le silence.

  JE m’abandonne à l’adorable allure : lire, vivre où mènent les mots. Leur apparition est écrite. Leurs sonorités concertées. Leur ébranlement se compose, d’après une méditation antérieure, et ils se précipiteront en groupes magnifiques ou purs, dans la résonance. Même mes étonnements sont assurés : ils sont cachés d’avance et font partie du nombre.

  MU par l’écriture fatale, et si le mètre toujours futur enchaîne sans retour ma mémoire, je ressens chaque parole dans toute sa force, pour l’avoir indéfiniment attendue. Cette mesure qui me transporte et que je colore, me garde du vrai et du faux. Ni le doute ne me divise, ni la raison ne me travaille. Nul hasard, mais une chance extraordinaire se fortifie. Je trouve sans effort le langage de ce bonheur ; et je pense par artifice, une pensée toute certaine, merveilleusement prévoyante,aux lacunes calculées, sans ténèbres involontaires, dont le mouvement me commande et la qualité me comble : une pensée singulièrement achevée.

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Cf. L’   Simplement la poésie  Paul Valéry

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