Le Fou d’Elsa
Chapitre I / Chants du Medjnoûn
♦ Énigme
Un grand champ de lin bleu parmi les raisins noirs
Lorsque vers moi le vent l’incline frémissant
Un grand champ de lin bleu qui fait au ciel miroir
Et c’est moi qui frémis jusqu’au fond de mon sang
Devine
Un grand champ de lin bleu dans le jour revenu
Longtemps y traîne encore une brume des songes
Et j’ai peur d’y lever des oiseaux inconnus
Dont au loin l’ombre ailée obscurément s’allonge
Devine
Un grand champ de lin bleu de la couleur des larmes
Ouvert sur un pays que seul l’amour connaît
Où tout a des parfums le pouvoir et le charme
Comme si des baisers toujours s’y promenaient
Devine
Un grand champ de lin bleu dont c’est l’étonnement
Toujours à découvrir une eau pure et profonde
De son manteau couvrant miraculeusement
Est-ce un lac ou la mer les épaules du monde
Devine
Un grand champ de lin bleu qui parle rit et pleure
Je m’y plonge et m’y perds dis-moi devines-tu
Quelle semaille y fit la joie et la douleur
Et pourquoi de l’aimer vous enivre et vous tue
Devine
♦
Lexique et notes
Medjnoûn : arabe, fou, possédé.
Surnom de l’Amirite Kéïs an-Nadjdî, poète préislamique bédouin, et personnage de divers poèmes (Nîzâmî, Djami, etc.) portant le titre Medjnoûn et Leïlâ.
Dans ce poème-ci, surnom donné au Fou de Grenade, Keïs Ibn an-Nadjdî, appelé le Fou d’Elsa.
Commentaire de Zaïd [personnage fictif] : An-Nadjdî faisait observer que le lin pousse à la fois dans le mardj [arabe, pré ; par ce mot est désigné le grand verger qui traverse d’est en ouest le Royaume de Grenade (en espagnol : vega)] et au pays d’Elsa. Cela lui paraissait assez dire pour expliquer cette énigme.
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