1915 avec le brancardier H. Barbusse

20 -21-  29 octobre 2015   


En cette fin d’ année 2015
qui débuta par le massacre de dix-sept femmes et hommes – au nom du prophète, au nom du dieu de la terreur islamique, aux ordres de l’État islamique et des salafistes des mosquées- massacre perpétré par les frères Kouachi et A. Coulibaly, lors des jours sanglants des 7, 8 et 9 janvier (1),

En ce temps de toussaint lié au souvenir des morts et à l’officielle mémoire de la fin de la première guerre mondiale 1914-1918,  le 11 novembre, jour de l’armistice,

En ce centenaire de l’année 1915 de la première guerre mondiale,

En pensant à mon grand-père « Pacific »(2)  Émile, englouti à 41 ans, le 27 septembre 1915, à Tahure, sous la terre de Champagne, il me semble que la lecture du livre Le Feu d’Henri Barbusseengagé volontaire à 41 ans,  peut nous ouvrir les yeux sur les souffrances innommables que les  hommes tout-puissants en politique, en capitaux, en religion, en ignominie, ont pu, et peuvent encore infliger à notre humaine condition, pour rester les maîtres du monde.

Extraits du chapitre deuxième : Dans la terre

 1915  …  / dans la France du Nord-Est …
« Depuis plus de quinze mois, depuis cinq cents jours,… »

« Le grand ciel pâle se peuple de coups de tonnerre : chaque explosion montre à la fois, tombant d’un éclair roux, une colonne de feu dans le reste de nuit et une colonne de nuée dans ce qu’il y a déjà de jour.
Là-haut, très haut, très loin, un vol d’oiseaux terribles, à l’haleine puissante et saccadée, qu’on entend sans les voir, monte en cercle pour regarder la terre.

La terre ! Le désert commence à apparaître, immense et plein d’eau, sous la longue désolation de l’aube. Des mares, des entonnoirs, dont la bise aiguë de l’extrême matin pince et fait frissonner l’eau ; des pistes tracées par les troupes et les convois nocturnes dans ces champs de stérilité et qui sont striées d’ornières luisant comme des rails d’acier dans la clarté pauvre ; des amas de boue où se dressent ça et là quelques piquets cassés, des chevalets en X, disloqués, des paquets de fil de fer roulés, tortillés, en buissons. Avec ses bancs de vase et ses flaques, on dirait une toile grise démesurée qui flotte sur la mer, immergée par endroits. Il ne pleut pas, mais tout est mouillé, suintant, lavé, naufragé, et la lumière blafarde a l’air de couler.
On distingue de longs fossés en lacis où le résidu de nuit s’accumule. C’est la tranchée. Le fond en est tapissé d’une couche visqueuse d’où le pied se décolle à chaque pas avec bruit, et qui sent mauvais autour de chaque abri, à cause de l’urine de la nuit. Les trous eux-mêmes, si on s’y penche en passant, puent aussi, comme des bouches.

Je vois des ombres émerger de ces puits latéraux, et se mouvoir, masses énormes et difformes : des espèces d’ours qui pataugent et grognent. C’est nous.
Nous sommes emmitouflés à la manière des populations arctiques. Lainages, couvertures, toiles à sac, nous empaquettent, nous surmontent, nous arrondissent étrangement. Quelques-uns s’étirent, vomissent des bâillements. On perçoit des figures rougeoyantes ou livides, avec des salissures qui les balafrent, trouées par les veilleuses d’yeux brouillés et collés au bord, embroussaillées de barbes non taillées ou encrassées de poils non rasés.

Tac ! Tac ! Pan ! Les coups de fusil, la canonnade. Au-dessus de nous, partout, ça crépite ou ça roule, par longues rafales, ou par coups séparés. Le sombre et flamboyant orage ne cesse jamais, jamais. Depuis plus de quinze mois, depuis cinq cents jours, en ce lieu du monde où nous sommes, la fusillade et le bombardement ne se sont pas arrêtés du matin au soir et du soir au matin. On est enterré au fond d’un éternel champ de bataille ; mais comme le tic-tac des horloges de nos maisons d’autrefois, dans le passé quasi légendaire, on n’entend cela que lorsqu’on écoute.
(…)

Nos âges ? Nous avons tous les âges. Notre régiment est un régiment  de réserve que des renforts successifs ont renouvelé en partie avec de l’active, en partie avec de la territoriale. Dans la demi-section , il y a des R.A.T (réservistes de l’armée territoriale)., et des demi-poils. Fouillade a quarante ans. Blaire pourrait être le père de Biquet qui est un duvetier de la classe 13. Le caporal appelle Marthereau « grand-père » ou « vieux détritus » selon qu’il plaisante ou qu’il parle sérieusement. Mesnil Joseph serait à la caserne s’il n’y avait pas eu la guerre. Cela fait un drôle d’effet quand nous sommes conduits par notre sergent Vigile, un gentil petit garçon qui a un peu de moustache peinte sur la lèvre, et qui, l’autre jour, au cantonnement, sautait à la corde, avec des gosses. (…)

Nos races ? Nous sommes toutes les races. Nous sommes venus de partout. Je considère les deux hommes qui me touchent : Porteloo, le mineur de la fosse Calonne, est rose ; ses sourcils sont jaune paille, ses yeux bleu de lin ; pour sa grosse tête dorée, il a fallu chercher longtemps dans les magasins la vaste soupière bleue qui le casque ; Fouillade, le batelier de Sète, roule des yeux de diable dans une maigre face de mousquetaire creusée aux joues et couleur de violon. Mes deux voisins diffèrent, en vérité, comme le jour et la nuit.
Et non moins, Cocon, le mince personnage sec, à lunettes, au teint chimiquement corrodé par les miasmes des grandes villes, fait contraste avec Biquet, le Breton pas équarri, à peau grise, à mâchoire de pavé ; et André Mesnil, le confortable pharmacien de sous-préfecture normande, à la jolie barbe fine, qui parle tant et si bien, n’a pas grand rapport avec Lamuse, le gras paysan du Poitou, aux joues et à la nuque de rosbif. L’accent faubourien de Barque, dont les grandes jambes ont battu dans tous les sens les rues de Paris, se croise avec l’accent quasi belge  et chantant de ceux de « ch’Nord » venus du 8 ème territorial, avec le parler sonore, roulant sur les syllabes comme sur des pavés, que nous versa le 144 ème, avec le patois s’exhalant des groupes que forment entre eux, obstinément, au milieu des autres, comme des fourmis qui s’attirent, les Auvergnats du 124… je me rappelle la première phrase de ce loustic de Tirette, quand il se présenta :  » Moi, mes enfants, j’suis d’Clichy-la- Garenne ! Qui dit mieux ? » , et la première doléance qui rapprocha Paradis de moi :  » I’s’foutions d’moi parce que j’sommes Morvandiau… » (…)
Oui, c’est vrai, on diffère profondément. Mais pourtant on se ressemble.
Malgré les diversités d’âge, d’origine, de culture, de situation, et de tout ce qui fut, malgré les abîmes qui nous séparaient jadis, nous sommes en grandes lignes les mêmes. À travers la même silhouette grossière, on cache et on montre les mêmes mœurs, les mêmes habitudes, le même caractère simplifié d’hommes revenus à l’état primitif.
Le même parler, fait d’un mélange d’argot d’atelier et de caserne, et de patois assaisonné de quelques néologismes, nous amalgame comme une sauce, à la multitude compacte d’hommes, qui depuis des saisons, vide la France pour s’accumuler au Nord-Est.

(…) ….. à suivre……………..

 » les journalistes, touristes des tranchées :  « – Ah ! Voilà des poilus !….

 » Les tabors de la Division marocaine……….

 » Voilà la dix-huitième ! »

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1 Contre l’horreur islamique le peuple français est entré en Résistance

De la Pacific 231 au Ravin des Mûres

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21 octobre 2015

« (…) Cependant, il se produit un brouhaha sur notre droite, et, subitement, on voit déboucher un groupe mouvant et sonore où des formes sombres se mêlent à des formes coloriées… Biquet s’est aventuré pour reconnaître…
– Eh ! les poteaux, v’nez mirer ça. des gens.
– Des gens ?
– Oui, des messieurs, quoi. Des civelots avec des officiers d’état-major.
– Des civils ! Pourvu qu’ils tiennent !
C’est la phrase sacramentelle. Elle fait rire bien qu’on l’ait entendue cent fois, et qu’à tort ou à raison, le soldat en dénature le sens originel et la considère comme une atteinte ironique à sa vie de privations et de dangers.
Deux personnages s’avancent ; deux personnages à pardessus et à cannes ; un autre habillé  en chasseur, orné d’un chapeau pelucheux et d’une jumelle.
Des tuniques bleu tendre sur lesquelles reluisent des cuirs fauves ou noirs vernis suivent et pilotent les civils.
De son bras où étincelle un brassard de soie bordé d’or et brodé de foudres d’or , un capitaine désigne la banquette de tir… et engage  les visiteurs à y monter pour se rendre compte. (…)
Du groupe, des têtes se tournent de notre côté. Un monsieur se détache vers nous, en chapeau mou et en cravate flottante. Il a une barbiche blanche et semble un artiste. Un autre le suit, en pardessus noir avec un melon noir, une barbe noire et un lorgnon.
– Ah ! ah ! fait le premier monsieur, voilà des poilus… Ce sont de vrais poilus, en effet.
Il s’approche un peu de notre groupe, un peu timidement comme au Jardin d’Acclimatation, et tend la main à celui qui est le plus près de lui, comme on présente un bout de pain à un éléphant.
– Hé, hé, ils boivent le café, fait-il remarquer.
– On dit le « jus », rectifie l’homme-pie.
– C’est bon mes amis ?
Le soldat, intimidé lui aussi par cette rencontre étrange et exotique, grogne, rit et rougit, et le monsieur dit  » Hé, hé ! »
Puis il fait un petit signe de la tête, et s’éloigne à reculons.
– C’est très bien, c’est très bien, mes amis. Vous êtes des braves ! … On a entendu un officier dire :  » Nous avons encore beaucoup à voir, messieurs les journalistes. »
(…)
Cependant, les heures s’écoulent, et le soir commence à griser le ciel et à noircir les choses ; il vient se mêler à la destinée aveugle, en même temps qu’à l’âme obscure et ignorante de la multitude qui est là, ensevelie.
Dans le crépuscule, un piétinement roule ; une rumeur ; puis une autre troupe se fraye un passage.
– Des tabors.
Ils défilent avec leurs faces bises, jaunes ou marron, leurs barbes rares, ou drues et frisées, leurs capotes vert-jaune, leurs casques frottés de boue qui présentent un croissant à la place de notre grenade. Dans les figures épatées ou , au contraire anguleuses et affûtées, luisantes comme des sous, on dirait que les yeux sont des billes d’ivoire et d’onyx. De temps en temps, sur la file, se balance, plus haut que les autres, le masque de houille d’un tirailleur sénégalais. Derrière la compagnie, est un fanion rouge avec une main verte au milieu.
On les regarde et on se tait. On ne les interpelle pas, ceux-là. Ils imposent et même font un peu peur.
Pourtant ces Africains paraissent gais et en train. Ils vont, naturellement, en première ligne. C’est leur place, et leur passage est l’indice d’une attaque très prochaine. Ils sont faits pour l’assaut.
– Eux et le canon 75, on peut dire qu’on leur z’y doit une chandelle ! On l’a envoyée partout en avant dans les grands moments, la Division marocaine ! (…) »
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29 octobre 2015
Chapitre troisième   La descente

 » L’aube grisâtre déteint à grand-peine sur l’informe paysage encore noir. Entre le chemin en pente qui, à droite, descend des ténèbres, et le nuage sombre du bois des Alleux (…) s’étend un champ. Nous sommes arrivés là, ceux du 6ème Bataillon, à la fin de la nuit. Nous avons formé les faisceaux, et, maintenant, au milieu de ce cirque de vague lueur, les pieds dans la brume et la boue, en groupes sombres à peine bleutés ou en spectres solitaires, nous stationnons, toutes nos têtes tournées vers le chemin qui descend de là-bas. Nous attendons le reste du régiment : le 5ème Bataillon, qui était en première ligne et a quitté les tranchées après nous…
Une rumeur…
– Les voilà ! (…)
Enfin ! Elle est finie, cette relève maudite qui a commencé hier à six heures du soir et a duré toute la nuit ; et à présent, le dernier homme a mis le pied hors du dernier boyau.
Le séjour aux tranchées a été, cette fois-ci, terrible. La dix-huitième compagnie était en avant. Elle a été décimée : dix-huit tués et une cinquantaine de blessés, un homme sur trois de moins en quatre jours ; et cela sans attaque, rien que par le bombardement. (…)
Je gagne la route et vais au-devant des hommes de la dix-huitième qui dévalent. Les uniformes de ces rescapés sont uniformément jaunis par la terre (…). Le drap est tout raidi par la boue ocreuse qui a séché dessus ; les pans des capotes comme des bouts de planche qui ballottent sur l’écorce jaune recouvrant les genoux. Les têtes sont hâves, charbonneuses, les yeux grandis et fiévreux. La poussière et la saleté ajoutent des rides aux figures.
Au milieu de ces soldats qui reviennent des bas-fonds épouvantables, c’est un vacarme assourdissant. Ils parlent tous à la fois, très fort, en gesticulant, rient et chantent.

Voici la deuxième section, avec son grand sous-lieutenant dont la capote est serrée et sanglé autour du corps raidi comme un parapluie roulé. Je joue des coudes tout en suivant la marche, jusqu’à l’escouade de Marchal, la plus éprouvée : sur onze compagnons qu’ils étaient et qui ne s’étaient jamais quittés depuis un an et demi, il ne reste que trois hommes avec le caporal Marchal.
Celui-ci me voit. (…)
– Alors, mon pauvre vieux, ça c’est mal passé…
Il s’assombrit, prend un air grave.
Eh oui, mon pauv’vieux, ça a été affreux, cette fois-ci … Barbier a été tué. (…)
  – C’est samedi, à onze heures du soir. Il avait le dessus du dos enlevé par l’obus, dit Marchal, et comme coupé par un rasoir. Besse a eu un morceau d’obus qui lui a traversé le ventre et l’estomac. Barthélémy et Baubex ont été atteints à la tête et au cou. On a passé la nuit à cavaler au galop dans la tranchée, d’un sens à l’autre pour éviter les rafales. Le petit Godefroy, tu le connais ? le milieu du corps emporté; il s’est vidé de sang sur place, en un instant, (…) il a fait un ruisseau d’au moins cinquante mètres dans la tranchée. Gougnard a eu les jambes hachées par des éclats. On l’a ramassé pas tout à fait mort. Ça, c’était au poste d’écoute. Moi, j’y étais de garde avec eux. Mais quand c’t’obus là est tombé, j’étais allé dans la tranchée demander l’heure. J’ai retrouvé mon fusil, que j’avais laissé à ma place, plié en deux comme une main, le canon en tire-bouchon, et la moitié du fût en sciure. Ça sentait le sang frais à vous soulever le cœur.
  – Et Mondain, lui aussi, n’est-ce-pas ?…
  – Lui, c’était le lendemain matin – hier par conséquent – dans la guitoune qu’une marmite a fait s’écrouler. Il était couché et sa poitrine a été défoncée. T’a-t-on parlé de Franco, qui était à côté de Mondain ? L’éboulement lui a cassé la colonne vertébrale ; il a parlé après qu’on l’a eu dégagé et assis par terre ; il a dit, en penchant la tête sur le côté : « Je vais mourir », et il est mort. Il y avait aussi Vigile avec eux : lui, son corps n’avait rien, mais sa tête s’est trouvée complètement aplatie, aplatie comme une galette, et énorme ; large comme ça. A le voir étendu sur le sol, noir et changé de forme, on aurait dit que c’était son ombre, l’ombre qu’on a quelquefois par terre quand on marche la nuit au falot.
  – Vigile qui était de la classe 13, un enfant ! Et Mondain et Franco, si bons types malgré leurs galons !… Des chics vieux amis en moins, mon vieux Marchal.
  – Oui, dit Marchal.

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Nouvelles de l’été 1435 à Saint-Denis

11 juillet 2015


Dans le Journal d’un bourgeois de Paris (1) … Pendant la guerre de Cent ans …

temps de toutes les misères, temps de guerre, de peste, de famine et de mort… à Paris, comme à Saint-Denis, comme partout en France.
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Bref résumé de l’histoire jusqu’en 1435 :

La France et l’Angleterre sont en guerre depuis 1337.

Les Armagnacs, princes et seigneurs de France :  Berry – Armagnac – Anjou – Orléans – Bourbon – Alençon – Foix – Comminges  se battent pour le roi Charles VII  contre les Anglo-bourguignons.

Les Anglais veulent instaurer la double monarchie avec le jeune roi Henri VI (neveu de Charles VII)  sacré roi d’Angleterre à Westminster et roi de France à Paris.
Ils se sont alliés au duc de Bourgogne, Philippe III  (cousin  et beau-frère de Charles VII).

♦ Mais cette alliance est rompue par le traité d’Arras, par lequel Philippe III reconnaît la légitimité de Charles VII,  le 21 septembre 1435.

 


 

Journal d’un bourgeois de Paris

 

« [669]… de nuit, entre le darrain♦ jour de mai et le premier jour de juin après minuit, fut prise la ville de Saint-Denis◊ par les Armagnacs, dont tant de mal s’ensuivit que la ville de Paris fut si assiégée que de nulle part n’y pouvait venir nuls biens par rivière ni par autre part. (…)

[670] Après, vers la fin d’août, vint grande foison d’Anglais, c’est à savoir, le sire de Huillebit◊, le sire d’Escalle◊, le sire de ◊Stafford et son neveu le bâtard de Saint-Pol◊, et plusieurs seigneurs d’Angleterre.

Et la darraine♦ semaine d’août assiégèrent ceux qui dedans Saint-Denis étaient et leur ôtèrent la rivière qu’on nomme Croult◊, et à faire leur logis dépecèrent les maisons de Saint-Ouen, d’Aubervilliers, de la Chapelle, bref de tous les villages d’entour, qu’il n’y demeura ni huis ni fenêtre, ni treillis de fer, ni quelque chose qu’on pût emporter ; ni n’y demeura aux champs, depuis qu’ils y furent logés, fèves ni pois, ni quelque autre chose, et s’il avait encore des biens sur terre, mais nulle chose n’y demeura, et coupaient les vignes atout le grain◊ et en couvraient leurs logis, et quand ils étaient un peu à séjour, ils allaient piller tous les villages d’entour Saint-Denis.

Quand ceux qui dedans Saint-Denis étaient se virent ainsi enclos, si issaient♦ souvent sur eux et en tuaient très grande foison, et quand dedans étaient, ils les tuaient par canons grands et petits, et espécialment par petits canons longs qu’ils appelaient couleuvres◊, et qui en était frappé à peine pouvait-il échapper sans mort.

Item♦, lendemain de la Nativité Notre-Dame, levèrent un assaut à ceux de Saint-Denis, mais tant bien se défendirent qu’ils tuèrent grande foison d’Anglais et de bien gros chevaliers et autres ; et fut tué le neveu du sire de Facetost◊ (…)

Item, cette année, fît le plus bel août, et bon blé en foison.

Item, cette année, les mûriers ne portèrent nulles mûres, mais il fut tant de pêches qu’on n’en vit oncques mais tant, car on avait le cent de très belles pour deux deniers parisis ou deux tournois, ou pour moins.

Item, il ne fut nulles amandes.

Item, encore était le conseil◊ à Arras, et on n’en oyait♦ nulle nouvelle à Paris en celui temps.

Item, le duc de Bedford qui avait été régent de France depuis la mort du roi d’Angleterre Henry, était trépassé à Rouen le 14ème jour de septembre, jour Sainte-Croix.

Item, les Armagnacs de Saint-Denis prirent le dimanche 24 septembre l’an 1435 trêves◊, et cette propre nuit, ceux de leur parti prirent le pont de Meulan◊, dont ceux qui étaient dedans Saint-Denis, quand on cuida♦ traiter avec eux, furent pires que devant ; et convint à eux de traiter, par ainsi qu’ils s’en iraient à tout ce qu’ils voudraient ou pourraient emporter sans nul contredit de nullui, et ainsi leur fut accordé par les seigneurs qui tenaient le siège.
Et se partirent le jour Sainte-Aure◊, 4ème jour d’octobre, tout moquant des Anglais, en disant : « Recommandez-nous aux rois◊ qui sont enterrés en l’abbaye de Saint-Denis et à tous nos compagnons, capitaines, et autres qui là-dedans sont enterrés. »(…)

Item, (…) et les Anglais étaient dans Saint-Denis qui pillaient la ville sans rien y laisser à leur pouvoir ; ainsi fut la ville de Saint-Denis détruite, et quand ils eurent tout pillé, si firent abattre les portes et les murs, et en firent une ville champêtre◊, et tant comme le siège dura, il n’était semaine que l’évêque de Thérouanne, qui était chancelier, ne coucha en l’ost♦ une fois ou deux, et fit faire en l’île de Saint-Denis une petite forteresse tout environnée de grands fossés très profonds.

Item, la reine de France, Isabeau, femme de feu Charles le VIème, trépassa en l’hôtel de Saint-Pol le samedi 24 ème jour de septembre l’an 1435, (…)

[681] Item, aussitôt que le pont de Meulan fut pris, tout enchérit à Paris, sinon le vin, mais le blé qu’on avait pour vingt sols parisis monta tantôt après à deux francs ; fromage, beurre, huile, pain, tout enchérit ainsi de près de la moitié ou du tiers ; et la chair et saindoux quatre blancs la chopine. »
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* D’après le Journal d’un bourgeois de Paris de 1405 à 1449 .
Texte original et intégral présenté et commenté par Colette Beaune.
Le Livre de Poche ( collection Lettres gothiques) 1990

« Si l’orthographe a été modernisée, la grammaire et la syntaxe n’ont pas été touchées » ; et c’est ainsi que l’on découvre combien cette langue française, six siècles après,  nous reste familière et agréable à lire.
L’auteur est anonyme mais c’est un personnage important ; un clerc de l’Université de Paris, un docteur en théologie qui appartient au chapitre de Notre-Dame. Il est hostile à Charles VII et favorable,  comme ses pairs, au duc de Bourgogne et aux Anglais.
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♦ Précieux glossaire  et ◊ commentaires   de Colette Beaune :

darrain : dernier
darraine : dernière
issaient : sortaient
Item : de même.
couleuvres :  couleuvrine. Ce sont des pièces d’artillerie légères et mobiles.   L’artillerie fut utilisée massivement dans les dernières batailles de la guerre de Cent ans.
oyait : verbe ouïr.
cuida : verbe croire.
ost : armée

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Prise de la ville de Saint-Denis par Dunois, Bâtard d’Orléans et Jean Foucaut, capitaine de Lagny. Cette opération permit aux Armagnacs d’intercepter tous les convois de vivres à destination de la capitale.
Huillebit :  Robert de Willoughby, illustre capitaine anglais, que Bedford avait fait comte de Vendôme(1424) et comte de Beaumont-sur-Oise (1431). Il était gouverneur de Pontoise avant d’être chargé de la défense de Paris.
Escalle : Thomas Lord Scales.
Stafford : Humphrey, comte de Stafford.
Jean de Luxembourg, Bâtard de Saint-Pol et seigneur de Haubourdin, participa à la reprise de Saint-Denis par les Anglais.
Le Croult, petit affluent de la Seine, est utilisé pour amener de l’eau dans les fossés de l’enceinte urbaine.
atout le grain : avec les raisins.
Facetost : neveu de Sir John Falstaff ; Sir John Harling, fils de Cecily, demi-sœur de Falstaff.
Conseil : le Traité d’Arras fut signé le 21 septembre entre Charles VII et Philippe III.
trêves : en général on promet de se rendre à une date fixée d’avance si l’on n’est pas secouru entre- temps. Sainte-Aure : c’était la fin du délai convenu, ils n’avaient pas été secourus.
Le pont de Meulan fut pris le 24 septembre par le Sire de Rambouillet contre la garnison anglaise commandée par Richard Merbury qui dut évacuer la place.
Recommandez-nous aux rois : la fonction de Saint-Denis comme lieu de mémoire et comme lieu sacré est ici  revendiquée par les Armagnacs qui disent que les Anglais n’y ont aucun droit.
Ville champêtre :  ville ouverte.
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Le Ravin des Mûres

11 novembre 2014

Vie et mort de notre grand-père et arrière-grand-père

Émile VINCENT
(Rouen 1874  – Tahure 1915)

 

En cette année 2014 du centenaire du déclenchement de la terrible Première guerre mondiale, qui s’est déroulée principalement sur le sol de France, en mémoire des millions de jeunes Français mobilisés en août 1914, Bernard Henri Pacory  a enrichi son récit (publié sur ce site en 2009) de documents et de photographies,  parmi lesquels les photos prises en Champagne par Jean-François Pacory, l’arrière petit-fils d’Émile Vincent.
Qu’ils en soient sincèrement remerciés.

Le Ravin des Mûres est maintenant en ligne sur le site de son auteur. 

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Après ce long siècle de silence officiel sur ces millions de vies sacrifiées, il est bon de commencer à parler vrai pour leur rendre justice et enraciner notre fraternelle mémoire.

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                      En mémoire

  Ma première note d’octobre 2007,  Un goût d’amertume  avait été simplement un cri du cœur, tant le courage des Résistantes et des Résistants face à l’occupant nazi pendant la seconde guerre mondiale m’inspire d’admiration et de reconnaissance ; tout comme l’évocation de la mort foudroyante de nos si jeunes et si beaux grands-pères pendant la terrible «grande» guerre, me bouleverse toujours…comme elle bouleverse Léopold Sédar Senghor, dans son émouvant poème :

Aux Tirailleurs sénégalais morts pour la France

Voici le soleil
Qui fait tendre la poitrine des vierges
Qui fait sourire sur les bancs verts les vieillards
Qui réveillerait les morts sous une terre maternelle.
J’entends le bruit des canons – est-ce d’Irun ?
On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat Inconnu.
On promet cinq cent mille de vos enfants à la gloire
des futurs morts, on les remercie d’avance futurs
morts obscurs
Die Schwarze schande !

Écoutez-moi, Tirailleurs sénégalais, dans la solitude de
la terre noire et de la mort
Dans votre solitude sans yeux sans oreilles, plus que
dans ma peau sombre au fond de la Province
Sans même la chaleur de vos camarades couchés tout
contre vous, comme jadis dans la tranchée jadis
dans les palabres du village
Écoutez-moi, Tirailleurs à la peau noire, bien que sans
oreilles et sans yeux dans votre triple enceinte de nuit.

Nous n’avons pas loué de pleureuses, pas même les
larmes de vos femmes anciennes
– Elles ne se rappellent que vos grands coups de
colère, préférant l’ardeur des vivants.
Les plaintes des pleureuses trop claires
Trop vite asséchées les joues de vos femmes, comme
en saison sèche les torrents du Fouta
Les larmes les plus chaudes trop claires et trop vite
bues au coin des lèvres oublieuses.

Nous vous apportons, écoutez-nous, nous qui épelions
vos noms dans les mois que vous mouriez
Nous, dans ces jours de peur sans mémoire, vous appor-
tons l’amitié de vos camarades d’âge.
Ah ! puissé-je un jour d’une voix couleur de braise,
puissé-je chanter
L’amitié des camarades fervente comme des entrailles
et délicate, forte comme des tendons.
Ecoutez-nous. Morts étendus dans l’eau au profond des
plaines du Nord et de l’Est.
Recevez ce sol rouge, sous le soleil d’été ce sol rougi
du sang des blanches hosties
Recevez le salut de vos camarades noirs, Tirailleurs sénégalais
MORTS POUR LA REPUBLIQUE !

 Léopold Sédar SENGHOR    Tours, 1938

Élu à l’Académie française en 1983

Grand-croix de la Légion d’honneur / Grand-croix de l’ordre national du Mérite / Commandeur des Arts et des Lettres /
Commandeur des Palmes académiques / Grand-croix de l’ordre du Lion du Sénégal /
Président du Sénégal / 
Poète
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Cf. la note du 31 décembre 2012  dans laquelle j’imaginais que la République française rendrait en 2013, un bel hommage à Léopold Sédar Senghor, lui qui a tant aimé et tant magnifié la langue française ; qu’elle honorerait le grand maître , en commémorant à la fois,  le cinquantième anniversaire de son Prix de la langue française (1963) et le trentième anniversaire de son entrée à l’Académie française (1983) …
… Mais, dictée par Terra Nova et par  l’ éminence grise P. Bergé,  la grande affaire du gouvernement PS  fut de déclarer 2013  « année gaie », année dédiée au seul mariage des homosexuels… 

♠  On a cependant assisté, lors du sommet de la Francophonie à Dakar, le 29 novembre 2014, au remord tardif de  M. Hollande qui s’est incliné devant la tombe du poète qui en fut aussi  l’un des pionniers.
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« Debout les morts » de 1914-1918 !

21 janvier 2014

« Debout les morts «  :  c’était le titre de l’émission sur  France Culture (1)

A l’aube de ce centenaire du déclenchement de la guerre de 1914-1918, des archéologues ont entrepris des fouilles qui – nous dit-on- permettent à  «l’archéologie de la Grande Guerre, (…) d’en  retrouver la matérialité, et d’une certaine  manière d’humaniser cette guerre.»

     « Humaniser cette guerre » ?
  « Humaniser cette guerre » avec ses 1 357 800 morts et ses 252 900 disparus sur 8 410 000 combattants français (métropole et colonies) ?

Ainsi, retrouver les ossements de nos jeunes et vaillants grands-pères morts pour la France, témoignerait de l’humanisme de la politique menée en Europe depuis la guerre franco-allemande de 1870 perdue par Napoléon III et ses maréchaux capitulards qui,  sous les ordres d’Adolphe Thiers (2), de Mac Mahon et de Jules Favre composèrent ensuite avec Bismarck pour mieux massacrer et déporter les Communards.
Les pseudo-stratèges de 1914, Joffre en tête, menant pareillement et sans état d’âme, leurs troupes à l’abattoir, étaient-ils aussi des humanistes ?

«Humaniser cette guerre (?)» ose dire  le jeune archéologue, fier d’indiquer « qu’il a  trouvé des problématiques (sic) sur la vie quotidienne du soldat.»

Les grands témoins survivants nous avaient surtout raconté la mort horrible et quotidienne des soldats  pendant quatre ans.

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Le salon noir du 17 décembre 2013

2 Adolphe Thiers, l’assassin de la Commune de Paris en 1871,  qui a ses  places, ses boulevards et ses avenues dans toutes les villes et aussi son lycée comme à Marseille (en guise de remerciements des municipalités bourgeoises) et qui devint le premier président de la Troisième République.

NB  Lire  Vie et mort de mon grand-père Émile VINCENT :   De la Pacific 231 au Ravin des mûres ( 1915- à Tahure en Champagne)

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Quand Le Point.fr se fait le chantre des libertés … et censure

 24 décembre 2013
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Jeudi 19 décembre 2013, le Point.fr publiait en exclusivité,  un article de M. Gaspard Koenig  intitulé  Et si la France n’était plus le pays des libertés, se voulant un catalogue sur la suppression des libertés en France.

L’auteur, brave petit  penseur en char d’assaut *, prit le parti de commencer par descendre en flammes La Marseillaise – coup classique-  pour finir en défiant un éventuel lecteur-procureur de lui infliger  la peine  qu’il encourait pour «délit d’outrage public à l’hymne national».
Il y raconte ce qu’il sait de Rouget de Lisle d’après les dires de Stefan Zweig ardent défenseur de Marie-Antoinette – celle-là même qui  ne cessa d’appeler son frère, l’empereur d’Autriche à la rescousse pour vaincre les forces armées françaises.

♠ Evidemment, je pensais être libre  de glisser ce commentaire naïf sous l’alias Impromptu,

19/12/2013 08:10  Impromptu
« De la tyrannie l’étendard sanglant est levé

Parmi ceux qui critiquent notre Marseillaise, il y a toujours ceux qui s’effarouchent de l’expression « l’étendard sanglant est levé ».
Serait-ce parce qu’ils ne savent pas qu’il y a une inversion de termes  et qu’il faut comprendre que c’est l’étendard sanglant de la tyrannie  des monarchies  autrichienne et prussienne, alliées de Louis XVI et de Marie-Antoinette qui allait déferler en France pour rétablir la monarchie de droit divin et les privilèges insupportables de la royauté, de la noblesse et du haut clergé.
Si la lecture de Zweig est plaisante pour l’auteur de l’article, je lui conseille, avant de jouer au moraliste, la relecture des discours lucides de Robespierre,  en ces temps de périls immenses qui nous donnèrent la République, notre République française. »

♠♠ Mais les modérateurs ont jugé que ce commentaire devait être censuré et l’Anastasie du Point l’a coupé. Les curieux chercheront pourquoi !

Madame Anastasie / André Gill (1874)

Madame Anastasie / André Gill (1874)

J’ai glissé un second petit message à la sympathique équipe aux ciseaux :
19/12/2013 14:14
«Chers amis modérateurs
Je ne suis pas procureur, mais mon commentaire : «(…)»  vous a semblé mériter la censure. Soit, de ce fait, vous  avez donné raison à votre collaborateur, M. Koenig,  en ne respectant pas ma liberté d’expression. Joli cas d’école que je pourrai évoquer sur lingenue.net.»

                   Chose promise Chose due

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* Cf.  traduction de think tank dans Le Petit Bobu