Quand Chateaubriand allait en Palestine

5 avril 2016

René de Chateaubriand a 38 ans quand en 1806, il entreprend « le voyage d’outre-mer » de Paris à Jérusalem. Le livre Itinéraire de Paris à Jérusalem  qu’il publia en 1811 est aussi riche d’admirables descriptions que de récits historiques et d’observations aiguisées sur l’état du monde en ce début du XIX ème siècle. Chaque page déborde d’une érudition  latine et grecque qui enrichit naturellement son analyse perçante des effets de la domination ottomane dans toute la région (1).

Il partit de Paris le 13 juillet 1806 et la Première Partie de l’Itinéraire est consacrée au Voyage de la Grèce (2) Pour la nouvelle édition de 1827, il compléta sa préface par une Note sur la Grèce qui luttait alors pour son Indépendance /1821-1829/(3).

De ce livre dense qui est aussi sa propre documentation pour son ouvrage les Martyrs , j’ai extrait un passage (4) sur les croisades en Palestine précédé d’une chronologie du passé proche  :

« En 636, le calife Omar, troisième successeur de Mahomet, s’empara de Jérusalem, après l’avoir assiégée pendant quatre mois ; la Palestine ainsi que l’Égypte, passa sous le joug des vainqueurs. Omar fut assassiné à Jérusalem en 643.
L’établissement de plusieurs califats en Arabie et en Syrie, la chute de la dynastie des Omniades et l’élévation de celle des Abassides, remplirent la Judée de troubles et de malheurs pendant plus de deux cents ans. (…) Les Fatimites en 968 conquirent plusieurs villes de Palestine (…)  Hakem, successeur d’Aziz, second calife fatimite, persécuta les chrétiens à Jérusalem en 996. (…) Meleschah, Turc Seljoucide, prit la sainte Cité en 1076 et fit ravager tout le pays. (…) Les Fatimites régnaient encore en 1076 (…) lorsque les croisés parurent sur les frontières de la Palestine.

Les écrivains du XVIII ème siècle se sont plu à représenter les croisades sous un jour odieux.
J’ai réclamé un des premiers contre cette ignorance ou cette injustice. (…)
Les chrétiens n’étaient point les agresseurs. Si les sujets d’Omar, partis de Jérusalem, après avoir fait le tour de l’Afrique, fondirent sur la Sicile, sur l’Espagne, sur la France même où Charles Martel les extermina, pourquoi des sujets de Philippe Ier, sortis de la France n’auraient-ils pas fait le tour de l’Asie pour se venger des descendants d’Omar jusque dans Jérusalem ? (…)  N’apercevoir dans les croisades que des pèlerins armés qui courent délivrer un tombeau en Palestine, c’est montrer une vue très bornée en histoire.

Il s’agissait non seulement de la délivrance de ce tombeau sacré, mais encore de savoir qui devait l’emporter sur la terre, ou d’un culte ennemi de la civilisation, favorable par système à l’ignorance, au despotisme, à l’esclavage, ou d’un culte qui a fait revivre chez les modernes le génie de la docte antiquité, et abolit la servitude. (…)
L’esprit du mahométisme est la persécution et la conquête ; l’évangile, au contraire, ne prêche que la tolérance et la paix.
Aussi les chrétiens supportèrent-ils, pendant sept cent soixante-quatre ans, tous les maux que le fanatisme des Sarrasins leur voulut faire souffrir ; ils tâchèrent seulement d’intéresser en leur faveur Charlemagne : mais ni les Espagnes soumises, ni la France envahie, ni la Grèce et les Deux-Siciles ravagées, ni l’Afrique entière tombée dans les fers, ne purent déterminer pendant plus de huit siècles, les chrétiens à prendre les armes.

Si enfin les cris des victimes égorgées en Orient, si les progrès des Barbares, déjà aux portes de Constantinople, réveillèrent la chrétienté, et la firent courir à sa propre défense, qui oserait dire que la cause des guerres sacrées fut injuste ?

Où en serions-nous, si nos pères n’eussent repoussé la force par la force ?
Que l’on contemple la Grèce, et l’on apprendra ce que devient un peuple sous les joug des musulmans.

Ceux qui s’applaudissent tant aujourd’hui du progrès des lumières auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d’Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes, et de mépriser souverainement les lettres et les arts ?

Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. »
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1 Itinéraire de Paris à Jérusalem suivi du Voyage en Amérique par le vicomte de Chateaubriand  Tome premier, Paris Siège de l’administration des frères-réunis  27, rue du Faubourg-Poissonnière  1851, Paris.- Imprimerie de E. de Soye et Cie, 36,rue de Seine.

2 Cf. L’arrivée dans le port de Chio fin août 1806   dans le volume de la BNF numérisé dans  Gallica : Itinéraire de Paris à Jérusalem  Tours Alfred Mame et Fils,  Éditeurs  1871

La seconde édition de 1827 résonne de la fureur de la guerre d’Indépendance grecque, du massacre de Chio perpétré par les Ottomans en avril 1822 ♦, de la résistance héroïque de Missolonghi jusqu’en 1826 ♦ ♦,  aux milliers de têtes tranchées et aux trafics d’esclaves qui s’ensuivirent.

Chateaubriand, dans sa préface de la troisième édition de la Note sur la Grèce joint le texte de son discours à la Chambre des  Pairs, le 13 mars 1826, avec sa proposition d’un amendement « sur le projet de loi relatif à la répression des délits commis dans les Échelles du Levant ».

P.31-33 « (…)
Mais l’habitant du Péloponèse et de l’Archipel, arraché aux flammes et aux ruines de sa patrie ; la femme enlevée à son mari égorgé, l’enfant ravi à la mère dans les bras de laquelle il a été baptisé,
toute cette race est civilisée et chrétienne. À qui a-t-elle été vendue ? à la barbarie et au mahométisme ! Ici le crime religieux vient se joindre au crime civil et politique (…). »
Dans son amendement, Chateaubriand déclare qu’il est justice de condamner cette « traite des blancs » comme la « traite des noirs » par  le terme générique de trafic d’esclaves.

♦ Résonance aussi dans  les peintures de Delacroix /26-28 ans :
 
Scène des massacres de Scio ; familles grecques attendant la mort ou l’esclavage  (1824)  
et
♦ ♦  La Grèce sur les ruines de Missolonghi (1826)

et dans les poèmes de V. Hugo/ 24 – 26 ans/ (Les Orientales) : Les Têtes du sérail 1826  Enthousiasme 1827 – Navarin  1827 –  Canaris (héros de l’indépendance grecque) 1828 

4  pp. 361, 362,363.

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LÆTITIA RERUM

 LÆTITIA  RERUM  ou  « La joie qu’il y a dans les choses »

Mais aussi la joie dans la beauté d’une Polonaise de Chopin ou d’un tableau de Véronèse … dans l’amour vrai … dans notre idéal humaniste et fraternel … dans la certitude qu’il sera le plus fort … Souhaitons-nous une bonne année 2016, lucide, forte, courageuse, qui éclairera le futur proche !

Tout est pris d’un frisson subit.
L’hiver s’enfuit et se dérobe.
L’année ôte son vieil habit ;
La terre met sa belle robe.

Tout est nouveau, tout est debout ;
L’adolescence est dans les plaines ;
La beauté du diable, partout,
Rayonne et se mire aux fontaines.

L’arbre est coquet ; parmi les fleurs
C’est à qui sera la plus belle ;
Toutes étalent leurs couleurs,
Et les plus laides ont du zèle.

Le bouquet jaillit du rocher ;
L’air baise les feuilles légères ;
Juin rit de voir s’endimancher
Le petit peuple des fougères.

C’est une fête en vérité ;
Fête où vient le chardon, ce rustre ;
Dans le grand palais de l’été
Les astres allument le lustre.

On fait les foins. Bientôt les blés,
Le faucheur dort sous la cépée* ;
Et tous les souffles sont mêlés
D’une senteur d’herbe coupée.

(…)

On voit rôder l’abeille à jeun,
La guêpe court, le frelon guette ;
À tous ces buveurs de parfum
Le printemps ouvre sa guinguette.

Le bourdon, aux excès enclin,
Entre en chiffonnant sa chemise ;
Un œillet est un verre plein,
Un lys est une nappe mise.

La mouche boit le vermillon
Et l’or dans les fleurs demi-closes,
Et l’ivrogne est le papillon,
Et les cabarets sont les roses.

De joie et d’extase on s’emplit,
L’ivresse, c’est la délivrance ;
Sur aucune fleur on ne lit :
Société de tempérance.

Le faste providentiel
Partout brille, éclate et s’épanche,
Et l’unique livre, le ciel,
Est par l’aube doré sur tranche.

Enfants, dans vos yeux éclatants
Je crois voir l’empyrée** éclore ;
Vous riez comme le printemps
Et vous pleurez comme l’aurore.

 Victor Hugo      L’Art d’être grand-père   VIII     18 juillet  1859
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*  cépée : Terme de chasse. Bois d’un an ou deux. Touffe de bois sortant d’une même souche. (Littré)

** empyrée : de l’adj. lat. ecclés. empyrius, grec empur(i)os « en feu, de feu ». (mythologie grecque) la plus élevée des quatre sphères célestes, qui contenait les feux éternels, c’est-à-dire les astres, et qui était le séjour des dieux.  (Robert)

♥    Écoutons  alors ce poème mis en musique pour  le roi soleil  en sa cour de Versailles :

Ombre de mon amant  1689   Michel Lambert (1610-1696)

Ombre de mon amant, ombre toujours plaintive,
Hélas! Que voulez-vous ? Je meurs.
Soyez un moment attentive
Au funeste récit de mes vives douleurs.
C’est sur cette fatale rive
Que j’ai vu votre sang couler avec mes pleurs.
Rien ne peut arrêter mon âme fugitive,
Je cède à mes cruels malheurs.
Ombre de mon amant, ombre toujours plaintive,
Hélas! Que voulez-vous ? Je meurs.

Hasnaa Bennani (soprano),
Ensemble Stravaganza – Domitille Gilon & Thomas Soltani, dir. 
New album ‘muso’ – Ariane & Orphée, French Baroque Cantatas – October 2015

1er janvier 2016
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28 mars / 8 avril 2016   

L
a  musique, lien fraternel … universel …

Laissons-nous inviter aussi  par  le Festival d’Ambronay le 25 septembre 2015 *  et le Concert Étranger (direction Itay Jedlin)  pour la Passion selon St Marc de Bach, où l’on retrouve Hasnaa Bennani parmi d’autres merveilleux talents !

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*  Festival d’Ambronay  25 septembre 2015

La rediffusion du concert assurée par France Télévisions jusqu’au 2 octobre 2016 est  précédée … souvent… de trois publicités criardes.

        AMBRONAY ________________________

Le droit au calme, à la beauté et au savoir à l’école

22-29 novembre 2015

  On a vu comment la fameuse Refondation de  l’école, claironnée depuis 2012 par MM. Hollande, Peillon, Hamon et Mmes Pau-Langevin et Vallaud-Belkacem, n’avait consisté qu’à faire financer, de façon ruineuse pour les municipalités, le remplacement du temps scolaire par des activités périscolaires – autrement dit un appauvrissement des apprentissages fondamentaux.

On a vu comment l’apprentissage des valeurs morales et laïques avait été reporté à la rentrée 2015, afin de privilégier en 2013 et 2014 leur idée fixe :  la « notion de genre  »  justifiant  le mariage homosexuel (seule promesse tenue du candidat) – diversion programmée pour laisser prêcher le djihad dans les mosquées en France et fermer les yeux sur la radicalisation des organisations islamiques.

On a vu comment Mme Vallaud-Belkacem achève bien le collège avec sa réforme qui supprime encore de précieuses heures d’apprentissage pour des activités dites transversales (pure chimère, quand on sait la faiblesse des acquisitions en langue française / vocabulaire-orthographe- conjugaison- syntaxe et compréhension en lecture/ des élèves de 6ème) et les fleurons que sont les langues fondatrices de notre français : le latin et le grec.

On a vu comment l’ École de la République – (di)version Hollande Peillon Hamon Vallaud-Belkacem- a laissé filer la laïcité en n’appliquant pas la loi ; et si les collégiens français sont à 15 ans moins instruits et moins vifs que ceux de 24 autres pays [Pisa 2013] , les niveaux de violence dans les collèges et les lycées atteignent par contre des records … Je ne refais pas ici la liste interminable des actes criminels commis en milieux scolaires – sur les élèves, sur les professeurs – principaux et proviseurs …

… ♥ Or, la première condition de réussite scolaire et intellectuelle est le calme qui permet l’attention et la concentration, donc le travail intelligent dans une classe, où chacun(e) aurait pris conscience de la nécessité de ce calme pour la réussite de tous, c’est-à-dire lorsque chacun(e) commence à se penser citoyen(ne).

…   Et, dans la refondation du calme intelligent, le port de la  blouse serait une bonne approche qui gommerait  l’apparence vestimentaire et son marquage socio-culturel  et  diminuerait  les réactions  et les excitations   sur les  différences entre les élèves, qui sont à l’origine des troubles continuels (cris, insultes, menaces, harcèlements, coups etc.) qui dévastent les journées de classe.

…♥ Et quoi de mieux pour apaiser, que la beauté et l’harmonie de la musique classique aux horaires d’entrée, de sortie, de pauses et d’interclasses  ?
Cette découverte quotidienne d’un univers musical exceptionnel ne serait-elle pas  une vraie chance de culture, pour la plupart des collégiens et des lycéens ?
   ♥ Entendre ensemble, pour la première fois, un concerto pour luth  et mandoline de Vivaldi  ? Une symphonie de Haydn ? Une sonate pour violon et piano de Fauré ? Un  quatuor de Beethoven ? Des airs d’opéras de Mozart ?  Ce serait simplement  du bonheur !

♥ Ainsi  à l’école, au collège et au lycée, ce serait déjà l’ébauche d’une chance d’avoir le droit au calme et à la beauté pour mieux apprendre – et même apprendre « à la perfection »   disait Édouard Glissant * !

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* Source :  Un siècle d’écrivains France 3 /1996
Édouard Glissant Écrivain poète (1928 Sainte-Marie en Martinique -2011 Paris)

…………………………à suivre … 
Redonner  aux collégiens et aux lycéens le calme  et la paix  dans leurs établissements scolaires est la responsabilité politique du gouvernement.
Face à la tragédie islamique qui ensanglante  la France  et le monde, l’éveil à la compréhension de la gravité de la situation actuelle rend encore plus impérative la nécessité d’apprendre  …. 

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NB      Survol d’une Refondation PS type- Hollande-Peillon- Hamon- Pau-Langevin- Vallaud-Belkacem :

En copie à M.Peillon et au comité de pilotage 8 juillet 2012

Les apostilles de la « refondation de l’Ecole de la République »  14 septembre 2012

M. Peillon et son double langage sur la morale et le haschisch  15 octobre 2012

Des hussards noirs de la Troisième République … 19 février 2013

La notion de genre ? Vous avez dit bizarre ? 3 février 2014

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Erasme et l’aimable Philautie

11 août 2015

On sait le  succès fou du suffixe « phobie » dans islamophobie et homophobie * à notre époque de montée en puissance de communautarismes revendicatifs, voire menaçants jusqu’à massacrer de paisibles citoyens depuis 2012.
Le sens premier, selon le radical grec,  phobos est crainte/ angoisse.

L’extension  créée – par- la-nouvelle- mode -islamiste- et -homosexuelle, vers un sens d’aversion / d’hostilité, leur donnerait-elle le droit de nous accuser ? Le droit de  faire du prosélytisme indigne avec des menaces  de procès ou de mort, déniant toute liberté d’expression, pour motif que nous n’appartiendrions pas à « la diversité de l’espèce humaine » ?

Certes, le suffixe « phil » quand il désigne un pédophile, exprime aussi un tragique contresens entre sa signification première, aimer et le crime du violeur d’enfants.

Enfin, on peut encore librement dire de nos compatriotes qu’ils sont philanthropes, francophiles, bibliophiles ou philosophes sans crainte d’être fustigé.
Quoique, il se pourrait bien qu’un francophobe portât plainte pour usage de langue française dans la « diversité de sa non-identité nationale d’islamophile » ! En Outre-République, la langue française est bannie.

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Aussi, quel plaisir de lire sans crainte, sous la plume dÉrasme dans son Éloge de la Folie (1508), l’éloge de la Philautie ♥ !

[XLII].- « (…) Mais pourquoi citer tel ou tel exemple, alors qu’en tous lieux Philautie (l’Amour-Propre) répand merveilleusement le bonheur ?
Celui-ci, plus laid qu’un singe, se voit beau comme Nirée ♥ ; celui-là se juge un Euclide ♥ pour trois lignes qu’il trace au compas ; cet autre croit chanter comme Hermogène ♥, alors qu’il est l’âne devant la lyre et que sa voix sonne aussi faux que celle du coq mordant sa poule. (…)

Pour les artistes de profession, qu’est-il besoin d’en parler ? Chacun d’eux a sa Philautie particulière et cèderait plutôt son champ paternel que son talent.
C’est surtout le cas du Comédien, du Chanteur, de l’Orateur et du Poète. Moins il a de valeur et plus il a de prétention et d’impertinence, plus il se rengorge et plastronne.
Et tous trouvent à placer leur marchandise, car c’est toujours ce qu’il y a de plus inepte qui rencontre le plus d’admirateurs. Le pire plaît nécessairement au plus grand nombre, la majorité des hommes étant asservie à la Folie.
Puisqu’aussi bien le plus inhabile est aussi le plus satisfait de lui-même et le plus admiré, à quoi bon s’attacher au vrai savoir, qui est pénible à acquérir, rend ennuyeux et timide et n’est apprécié, en somme, que de si peu de gens ?

[XLIII].- Si la nature fait naître chaque homme avec cette Philautie, qui est amour de soi, elle en a muni également chaque nation et chaque cité.
D’où suit que les Anglais revendiquent, entre autres dons, la beauté physique, le talent musical et celui des bons repas (…) ; les Français prennent pour eux l’urbanité ; les Parisiens s’arrogent presque le monopole de la science théologique ; les Italiens, celui des bonnes lettres et de l’éloquence (…).
Dans ce genre de félicité, les Romains l’emportent et s’enchantent encore du rêve de l’antique Rome. (…) Les Turcs, ce ramassis de barbares, prétendent à la meilleure religion et raillent les Chrétiens, qu’ils traitent de superstitieux. (…) Les Allemands sont fiers de leur haute taille et de leurs connaissances en magie.

[XLIV].- N’allons pas plus loin ; vous voyez, je pense combien Philautie procure de satisfaction à tous et à chacun. (…) »

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* Phobie : si ce mot est inconnu du Littré, le Grand Robert le signale vers 1880 : didact. Cour. Peur, crainte angoissante spécialement liée à certains objets, certains actes, certaines situations, certaines idées (…)

« Sur la question des peurs morbides, actuellement désignées sous le nom de phobies, il existe un très grand nombre d’observations, notes, mémoires, qui ne font que s’accroître chaque jour (…) J. Falret et Westphal (dans un traité sur l’agoraphobie, 1872) paraissent les premiers qui soient entrés dans cette voie. À la peur des espaces de Westphal et à la crainte du contact de Falret, s’en ajoutent bientôt d’autres et l’on traverse une première période, où se produit une véritable inondation de phobies, ayant chacune son nom spécial (…) Toute manifestation morbide de la crainte est aussitôt dénommée par un vocable grec ou réputé tel et nous avons (…) jusqu’à (…) la triakaidekaphobie (peur du nombre 13 !). Th. Ribot, Psychologie des sentiments, 1896, p.220.

 

♥ Philautie : Mot connu du seul Littré : Terme didactique,  Amour de soi-même, complaisance vicieuse de soi-même.
Nous ne nous faisons point justice,
Et la philautie est un vice
Dont le plus sage est entaché,
Fût-il sans tout autre péché. Scarron

♥ Nirée :« Le plus beau des Grecs devant Troie » Homère
♥  Euclide d’Alexandrie (323-283 av. notre ère), fondateur de l’école mathématique d’Alexandrie.
♥ Hermogène : M. Tigellius Hermogenes, chanteur célèbre protégé par Auguste, et qu’Horace appelle optimus cantator et modulator.

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Nouvelles de l’été 1435 à Saint-Denis

11 juillet 2015


Dans le Journal d’un bourgeois de Paris (1) … Pendant la guerre de Cent ans …

temps de toutes les misères, temps de guerre, de peste, de famine et de mort… à Paris, comme à Saint-Denis, comme partout en France.
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Bref résumé de l’histoire jusqu’en 1435 :

La France et l’Angleterre sont en guerre depuis 1337.

Les Armagnacs, princes et seigneurs de France :  Berry – Armagnac – Anjou – Orléans – Bourbon – Alençon – Foix – Comminges  se battent pour le roi Charles VII  contre les Anglo-bourguignons.

Les Anglais veulent instaurer la double monarchie avec le jeune roi Henri VI (neveu de Charles VII)  sacré roi d’Angleterre à Westminster et roi de France à Paris.
Ils se sont alliés au duc de Bourgogne, Philippe III  (cousin  et beau-frère de Charles VII).

♦ Mais cette alliance est rompue par le traité d’Arras, par lequel Philippe III reconnaît la légitimité de Charles VII,  le 21 septembre 1435.

 


 

Journal d’un bourgeois de Paris

 

« [669]… de nuit, entre le darrain♦ jour de mai et le premier jour de juin après minuit, fut prise la ville de Saint-Denis◊ par les Armagnacs, dont tant de mal s’ensuivit que la ville de Paris fut si assiégée que de nulle part n’y pouvait venir nuls biens par rivière ni par autre part. (…)

[670] Après, vers la fin d’août, vint grande foison d’Anglais, c’est à savoir, le sire de Huillebit◊, le sire d’Escalle◊, le sire de ◊Stafford et son neveu le bâtard de Saint-Pol◊, et plusieurs seigneurs d’Angleterre.

Et la darraine♦ semaine d’août assiégèrent ceux qui dedans Saint-Denis étaient et leur ôtèrent la rivière qu’on nomme Croult◊, et à faire leur logis dépecèrent les maisons de Saint-Ouen, d’Aubervilliers, de la Chapelle, bref de tous les villages d’entour, qu’il n’y demeura ni huis ni fenêtre, ni treillis de fer, ni quelque chose qu’on pût emporter ; ni n’y demeura aux champs, depuis qu’ils y furent logés, fèves ni pois, ni quelque autre chose, et s’il avait encore des biens sur terre, mais nulle chose n’y demeura, et coupaient les vignes atout le grain◊ et en couvraient leurs logis, et quand ils étaient un peu à séjour, ils allaient piller tous les villages d’entour Saint-Denis.

Quand ceux qui dedans Saint-Denis étaient se virent ainsi enclos, si issaient♦ souvent sur eux et en tuaient très grande foison, et quand dedans étaient, ils les tuaient par canons grands et petits, et espécialment par petits canons longs qu’ils appelaient couleuvres◊, et qui en était frappé à peine pouvait-il échapper sans mort.

Item♦, lendemain de la Nativité Notre-Dame, levèrent un assaut à ceux de Saint-Denis, mais tant bien se défendirent qu’ils tuèrent grande foison d’Anglais et de bien gros chevaliers et autres ; et fut tué le neveu du sire de Facetost◊ (…)

Item, cette année, fît le plus bel août, et bon blé en foison.

Item, cette année, les mûriers ne portèrent nulles mûres, mais il fut tant de pêches qu’on n’en vit oncques mais tant, car on avait le cent de très belles pour deux deniers parisis ou deux tournois, ou pour moins.

Item, il ne fut nulles amandes.

Item, encore était le conseil◊ à Arras, et on n’en oyait♦ nulle nouvelle à Paris en celui temps.

Item, le duc de Bedford qui avait été régent de France depuis la mort du roi d’Angleterre Henry, était trépassé à Rouen le 14ème jour de septembre, jour Sainte-Croix.

Item, les Armagnacs de Saint-Denis prirent le dimanche 24 septembre l’an 1435 trêves◊, et cette propre nuit, ceux de leur parti prirent le pont de Meulan◊, dont ceux qui étaient dedans Saint-Denis, quand on cuida♦ traiter avec eux, furent pires que devant ; et convint à eux de traiter, par ainsi qu’ils s’en iraient à tout ce qu’ils voudraient ou pourraient emporter sans nul contredit de nullui, et ainsi leur fut accordé par les seigneurs qui tenaient le siège.
Et se partirent le jour Sainte-Aure◊, 4ème jour d’octobre, tout moquant des Anglais, en disant : « Recommandez-nous aux rois◊ qui sont enterrés en l’abbaye de Saint-Denis et à tous nos compagnons, capitaines, et autres qui là-dedans sont enterrés. »(…)

Item, (…) et les Anglais étaient dans Saint-Denis qui pillaient la ville sans rien y laisser à leur pouvoir ; ainsi fut la ville de Saint-Denis détruite, et quand ils eurent tout pillé, si firent abattre les portes et les murs, et en firent une ville champêtre◊, et tant comme le siège dura, il n’était semaine que l’évêque de Thérouanne, qui était chancelier, ne coucha en l’ost♦ une fois ou deux, et fit faire en l’île de Saint-Denis une petite forteresse tout environnée de grands fossés très profonds.

Item, la reine de France, Isabeau, femme de feu Charles le VIème, trépassa en l’hôtel de Saint-Pol le samedi 24 ème jour de septembre l’an 1435, (…)

[681] Item, aussitôt que le pont de Meulan fut pris, tout enchérit à Paris, sinon le vin, mais le blé qu’on avait pour vingt sols parisis monta tantôt après à deux francs ; fromage, beurre, huile, pain, tout enchérit ainsi de près de la moitié ou du tiers ; et la chair et saindoux quatre blancs la chopine. »
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* D’après le Journal d’un bourgeois de Paris de 1405 à 1449 .
Texte original et intégral présenté et commenté par Colette Beaune.
Le Livre de Poche ( collection Lettres gothiques) 1990

« Si l’orthographe a été modernisée, la grammaire et la syntaxe n’ont pas été touchées » ; et c’est ainsi que l’on découvre combien cette langue française, six siècles après,  nous reste familière et agréable à lire.
L’auteur est anonyme mais c’est un personnage important ; un clerc de l’Université de Paris, un docteur en théologie qui appartient au chapitre de Notre-Dame. Il est hostile à Charles VII et favorable,  comme ses pairs, au duc de Bourgogne et aux Anglais.
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♦ Précieux glossaire  et ◊ commentaires   de Colette Beaune :

darrain : dernier
darraine : dernière
issaient : sortaient
Item : de même.
couleuvres :  couleuvrine. Ce sont des pièces d’artillerie légères et mobiles.   L’artillerie fut utilisée massivement dans les dernières batailles de la guerre de Cent ans.
oyait : verbe ouïr.
cuida : verbe croire.
ost : armée

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Prise de la ville de Saint-Denis par Dunois, Bâtard d’Orléans et Jean Foucaut, capitaine de Lagny. Cette opération permit aux Armagnacs d’intercepter tous les convois de vivres à destination de la capitale.
Huillebit :  Robert de Willoughby, illustre capitaine anglais, que Bedford avait fait comte de Vendôme(1424) et comte de Beaumont-sur-Oise (1431). Il était gouverneur de Pontoise avant d’être chargé de la défense de Paris.
Escalle : Thomas Lord Scales.
Stafford : Humphrey, comte de Stafford.
Jean de Luxembourg, Bâtard de Saint-Pol et seigneur de Haubourdin, participa à la reprise de Saint-Denis par les Anglais.
Le Croult, petit affluent de la Seine, est utilisé pour amener de l’eau dans les fossés de l’enceinte urbaine.
atout le grain : avec les raisins.
Facetost : neveu de Sir John Falstaff ; Sir John Harling, fils de Cecily, demi-sœur de Falstaff.
Conseil : le Traité d’Arras fut signé le 21 septembre entre Charles VII et Philippe III.
trêves : en général on promet de se rendre à une date fixée d’avance si l’on n’est pas secouru entre- temps. Sainte-Aure : c’était la fin du délai convenu, ils n’avaient pas été secourus.
Le pont de Meulan fut pris le 24 septembre par le Sire de Rambouillet contre la garnison anglaise commandée par Richard Merbury qui dut évacuer la place.
Recommandez-nous aux rois : la fonction de Saint-Denis comme lieu de mémoire et comme lieu sacré est ici  revendiquée par les Armagnacs qui disent que les Anglais n’y ont aucun droit.
Ville champêtre :  ville ouverte.
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