Chers amis de Respect mag

Suite de « La petite tribu des haineux » du 10 octobre 2010 

12 octobre 2010  /   note mise en avant le 12 octobre 2019            

 

Chères amies, chers amis,

 

Le ton de votre tribune (1) intitulée « La cité du mâle  » Arte racole sur le dos des banlieues  » n’est pas des plus respectueux mais je pense que c’est votre mode habituel de communication -un peu rude, quand vous voulez marquer votre agacement.

 

En effet,  Arte vous a déjà forcément déplu avec son film  « La journée de la jupe » (2),  ses 2,2 millions de téléspectateurs,  sa meilleure audience en 2009. C’est ce que vous nommez un de ses « quelques sujets douteux « .

Quant à  Daniel Leconte, n’est-ce-pas lui, qui en 2008, a réalisé le film  » C’est dur d’être aimé par des cons  » sur le procès intenté  par La Mosquée de Paris, le Conseil français du culte musulman, l’Union des organisations islamiques de France et la Ligue islamique mondiale contre Philippe Val  et Charlie Hebdo ?  Vous dites d’ailleurs de lui avec finesse qu’il   » n’en est pas à sa première caricature  » !

 

Bref,  Daniel Leconte, Arte, un  Théma intitulé   » Pourquoi tant de haine ?  » , un documentaire  » La cité du mâle  » de Cathy Sanchez, sur  l’évolution  des  raisonnements et des comportements des jeunes gens  depuis la mort de Sohane en 2002 à Vitry, brûlée vive par Jamel,  ne vous ont  inspiré  que des jugements négatifs.

♠ Il  ne s’agirait là pour vous  que d’ «  une erreur de point de vue – une faute professionnelle – une manipulation de l’idéologue qui se veut journaliste d’investigation ».

 

Le film qui donne à voir et  à écouter Charhazad qui a survécu au même supplice que Sohane, elle fut brûlée vive par Amer en 2005 à Neuilly-sur-Marne, ne serait pour vous qu’une « arme de désinformation massive qui [peut] contribuer à détruire la société française (sic) «  ?
Et vous criez : «  Halte au feu
(sic)! Halte aux faiseurs de haine(re sic) !  » à  la réalisatrice et au producteur !

 

Alors vous, vous  qui vous   proclamez seuls  » acteurs médiatiques et sociaux des quartiers populaires (sic) »  et qui dites  »  » Place au dialogue «  (re sic) :

Avez-vous  donné dans vos magazines et vos radios la parole aux jeunes filles maltraitées et à leurs mères ?

Avez-vous suivi la marche silencieuse de soutien à Charhazad souffrant le martyre, en novembre 2005, comme des centaines de personnes accompagnant sa famille ? Avez-vous entendu le frère, la mère et le père de Charhazad demandant que les violences faites aux jeunes filles cessent ?

Avez-vous  suivi les procès de leurs bourreaux pour vos lecteurs et vos auditeurs ?

Leur avez-vous parlé de la stèle à la mémoire de Sohane, cité Balzac à Vitry-sur-Seine ?

Avez-vous recueilli les propos des professionnels, médecins, assistants sociaux,
enseignants, éducateurs, qui travaillent dans ce secteur  ?

Conseillez-vous aux jeunes filles et aux femmes victimes de violences le site http://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/  ?

Allez-vous donner la parole dans vos médias à Malika Sorel, elle est membre du Haut conseil à l’intégration, ingénieur de l’Ecole polytechnique d’Alger et diplômée de Sciences-politiques ?  Elle a publié « Le puzzle de l’intégration – les pièces qui vous manquent » Ed. Mille et une nuits. Une lecture intéressante pour tous.

 

                

 

Et pour finir, laissez-moi m’interroger sur ce que signifie le mot respect pour vous.

♠ Nul n’a dit
dans le documentaire ni dans votre tribune :
Sohane total respect !
Charhazad
total respect !
J’en conclus que les victimes ne les intéressent pas, ne vous intéressent pas, ne méritent  ni leur respect,  ni votre respect : ces jeunes filles  ayant «  péché  » et  ayant été  « punies  » par  leur « ami » (sic)  au nom de la justice  d’un code ancestral fondé sur un dogme islamique.

 Alors votre mot respect qui ne respecte pas les victimes n’est pas le même mot pour moi que le respect citoyen, celui qui reconnaît à toutes les jeunes filles la même liberté,  la même égalité des droits à la vie et à l’épanouissement, la même dignité, le même droit à la justice qu’aux   « mâles » qui ont eux,  le même devoir civique de  devenir à leur tour des citoyens  respectueux de la loi républicaine. 

 

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1 Respect Mag   Urbain, social et métissé  Citations  Rue89 6.10.10 / tribune  rédigée à l’initiative de l’association Presse & Cité avec Charly Carré, coordinatrice du Marseille Bondy Blog ; Marc Cheb Sun ♠, directeur de la rédaction de Respect Mag ; Rokhaya Diallo, présidente des Indivisibles ; Moïse Gomis, directeur de Radio HDR ; Bruno Laforestrie, directeur de Radio Générations 88,2 FM ; Farid Mebarki, président de Presse & Cité ; Erwan Ruty, directeur de Ressources Urbaines, l’agence de presse des quartiers ; Raphaël Yem, rédacteur en chef de Fumigène magazine.

2 La Journée de la jupe  / film de Jean-Paul Lilienfeld / 2009.

par L’ingénue Revoir « la journée de la jupe », l’excellent film de J.P. Lilienfeld
note du 25.03.2009 / complétée le 3.06.2014.

par L’ingénue  C’est dur d’être aimé par des cons
23.09.2008.

 » Pourquoi tant de haine ? «  , un documentaire  » La cité du mâle  » de Cathy Sanchez

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La petite tribu des haineux

7 octobre 2010 / note complétée  le 10.10.10

« Femmes : pourquoi tant de haine ? »

Ce documentaire « Femmes : pourquoi tant de haine ? » (1) de Cathy Sanchez, enfin programmé sur Arte,  nous a permis de voir en un plan rapproché, la petite tribu des haineux de la  bonne ville de Vitry- sur- Seine, en Île -de-France.

Ils sont là, ces jeunes gens, assis sur une marche devant l’immeuble ; ils sont là,  en uniforme obligatoire, la casquette et les brillants rivés dans les oreilles comme des bourgeoises.
Ils ont 18 ans et plus. Qu’ont-ils retenu de leur scolarité jusqu’à 16 ans ?
Qu’ont-ils fait de tout ce temps si précieux d’apprentissages de savoirs que la loi républicaine  a octroyé  – après luttes et révolutions au XIX ème siècle – à eux, comme à nous, enfants de salariés, enfants du peuple ?

Ce que nous entendons de leur raisonnement, des actes qu’ils revendiquent et des crimes qu’ils justifient, laisse à penser que leur intelligence est restée en friche par l’absence de réflexion,  d’ouverture d’esprit,  et d’éducation civique ; que leur langage est réduit à une logorrhée pornographique  compulsive, quelques lamentables expressions ordurières qu’ils réservent – comme des crachats –  aux jeunes filles de leur âge.

La petite tribu des haineux se serre les coudes. Leur avis sur la mort de Sohane brûlée vive est unanime :   « Qu’elle crève, qu’elle aille en enfer ! » dit l’un,  en menaçant de gifler une dame qui a une pensée émue pour la jeune fille. Rachid, le meilleur ami de Jamel  l’assassin, dit« C’est pas un criminel, c’est une crème », puisque, dira  un autre :  « L’être humain, c’est l’homme, pas la femme. « ♠ 

Les haineux en sont convaincus :  l’assassin Jamel ira au paradis, la victime Sohane continuera de brûler en enfer.  Le dogme monothéiste du péché – pour les jeunes filles uniquement – est omniprésent, et la petite tribu des haineux veille à infliger les châtiments réglementaires.

Pour les haineux, tout est permis. Ils ont tous les droits de violence ordinaire sur leurs sœurs,  » leurs » meufs ; ils les giflent, les battent, les menottent, les  » saignent »,  les défigurent etc., c’est non seulement autorisé mais encouragé par le laxisme familial.

Ce qui est interdit concerne exclusivement  les jeunes filles : elles n’ont pas le droit de s’habiller normalement. Pour elles la mode obligatoire,  c’est la mode  des haineux :  » à la bonhomme  » (sic).

Ce qui est interdit aux  jeunes filles, c’est aussi de devenir  intelligentes,  cultivées, (sur)diplômées, valorisées par un travail passionnant. Alors les haineux, tout au long de la scolarité feront tout pour perturber les classes, les cours ; ils agresseront, insulteront les professeurs etc.  pour diminuer toujours plus les chances de réussites et décourager les meilleur(e)s, celles et ceux qui ont envie d’apprendre,  de comprendre, et sûrement de lutter pour échapper aux mécanismes tribaux.

 

En fait, les haineux ont tout simplement la rage de ne plus pouvoir asservir celles qui leur deviennent tellement supérieures. Et de cela les preuves affluent. Une de ces jeunes filles, Fadela Amara, est maintenant ministre , c’est pour les haineux une gifle, certes symbolique, mais cependant magistrale.
Ils apprendront à leurs dépens que les jeunes filles en France ont la loi républicaine avec elles, et qu’il serait temps qu’ils le comprennent.

Qu’ils oublient leurs pensées automatiques d’un autre âge sur leur toute- puissance sexiste. Elle n’est pas écrite sur leur casquette.  Elle n’est inscrite nulle part dans nos lois françaises.

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1  » La cité du mâle  »  Arte  / 29.09.10.  Théma : « Femmes : pourquoi tant de haine ? »

♦ Sur le vif ♦  Témoignage

Commentaire laissé sur Arte.tv, le 4.10.10 par dobby :

«  Professionnel dans le quartier où  Sohane a été brûlée vive, je n’ai pas vu ce reportage ;  mais tous les jours je vois sa stèle à côté du centre social Balzac, actuellement elle est fleurie.
J’aimerais que ce reportage soit rediffusé pour faire comprendre aux gens que les filles sont victimes et pouvoir échanger avec ces mères inquiètes pour leurs filles.
C’est important pour nous, travaillant là- bas, de se rendre compte de la dureté des dires et des propos tenus, afin de faire changer les choses. « 

 

Pour lutter contre les violences faites aux femmes, le site du secrétariat d’État à la famille  http://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/ a été réaménagé pour permettre de repérer l’association d’aide la plus proche ; pour rassurer les victimes un logiciel permet en outre d’effacer toute trace de passage sur le site. /Le Monde 8.10.10.

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L’école de l’Ancien Régime aux frais de la République

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 Devant l’école privée

Il est 8h30. Les parents arrivent en voiture devant l’école privée catholique * . C’est l’animation habituelle. Une vingtaine de voitures stationnent de façon plus ou moins anarchique, cinq ou six 4×4, de belles limousines, seulement deux ou trois voitures classiquement ordinaires.

Quelques mères d’élèves papotent devant la statue de la Madone. Arrive un 4×4 … flambant neuf qui crée  l’émotion » ; une jeune femme en cuissardes de cuir noir, la quarantaine chic, en descend avec sa fille et se joint au groupe.

Deux cents mètres plus loin, juste après le virage qui cache à la vue l’école privée, une autre jeune femme stationne sa Super 5 hors d’âge derrière la poste. La trentaine, habillée modestement, la maman aide sa petite fille à descendre du véhicule, puis toutes deux, se dirigent à petits pas vers l’école. A quelques minutes de l’heure de la rentrée, elles passeront inaperçues…

… Et en classe, il y aura  un dessin à colorier, où l’idée de péché,  »  fondamentale  » dans les dogmes monothéistes,  imprègne déjà une simple activité graphique… et les jeunes intelligences.

Coloriage mars 2010 école privée sous contrat

Coloriage à l’école privée  » sous contrat * avec sa légende :
«  Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. Jean 8,11 »

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… Et le même jour, devant le lycée privé, **des lycéens fumaient ; les occupants  du P•••••e  Cayenne, immatriculé dans les Hauts-de-Seine, guettaient l’apparition du revendeur, ayant foi en la multiplication de  leurs gains, grâce à leur manne stupéfiante.

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* Appelons-la « l’école Sainte-Marie-des-grosses-berlines »    
** Appelons-le « Saint-Jules-du-go-fast »

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Nos impôts financent désormais – depuis la présidence de François Mitterrand qui a favorisé les accords Lang-Cloupet de 1992 –  la totalité du fonctionnement de ces établissements, payants pour les familles. 

L’enrichissement permanent de l’Enseignement privé catholique est une manière pour l’Épiscopat de reprendre, vis-à-vis de la Nation, sa position et ses privilèges d’Ancien Régime.  Depuis les débuts de la Vème République, les dirigeants politiques lui versent  une nouvelle dîme de milliards d’euros et bafouent l’École laïque.
            
 Dans son discours du 15 janvier 1850 où il s’opposait au projet de  loi Falloux qui établissait  le monopole de l’instruction publique en faveur du clergé, Victor Hugo le proclamait  :  » Je ne veux pas que ce qui a été fait par nos pères soit défait par vous. Après cette gloire, je ne veux pas de cette honte.  » 

        
             Quelle majorité politique voudra  l’entendre ?   

… et la lettre du 7 août du marquis de Ferrières


              

Lettre du marquis de  Ferrières* à son épouse

                                        Versailles, 7 août 1789

(…)
«   Nous avons eu une séance très mémorable, mardi 4 août… S’il en résulte quelques avantages pour le bien général, je me consolerai facilement de ce que je perds comme gentilhomme, et comme seigneur de fief.

Venons aux affaires. Aussitôt ma lettre reçue, fais cesser tout travail aux réparations, soit aux fossés, soit au château. Ce n’est pas le moment de mettre son argent à réparer une maison qui peut-être n’existera pas, dans un an, ou six mois. (…)

Voilà ce que tu dois faire, mais apportes-y la prudence et le secret nécessaires : 1°  Tu prendras l’argent qui est dans le Trésor. Labbé** pourra te l’atteindre ; tu lui diras que c’est pour me l’envoyer. 2°  Tu chercheras un aveu*** de Marsay de 1723 ; un aveu de Mondon de 1723 ; un aveu de la Tour de Ry de 1723 ; ou à leur défaut, des aveux de 1699 ; tu y joindras mes deux livres de recette des rentes, un du temps de M. du Tillet, et laisse celui qui me sert à les recevoir ; tu prendras le carton où sont les lettres de noblesse des Ferrières. J’en avais mis un gros paquet dans mon bureau. Tu prendras aussi un aveu de la Griffonnière, de Puygirault, si tu peux les trouver. Mais que Labbé, ni personne n’aient connaissance de cela. Quand tout sera prêt, tu diras que tu vas à Poitiers pour affaire.

Tu feras toi-même la  » vache « **** avec tes filles ; tu y mettras l’argent, les titres, aveux, livres de recette, une partie de ton argenterie, comme cuillers à  » oïlle « , cafetières et couverts ; tu finiras par la remplir de ton meilleur linge ; et tu iras déposer le tout à Poitiers, dans l’endroit que tu croiras le plus sûr. Tu annonceras que tu veux meubler la maison des Malvaux pour ta fille, et tu feras charroyer, à Poitiers le même jour que tu iras, les matelas, courtes-pointes, couvertures, et généralement tous les dedans du lit de l’appartement et de la chambre de la niche. Tu y joindras des draps ; ce sera en cas d’événements, quelque chose de sauvé.

Aie surtout grande attention que l’on ne soupçonne rien de l’argent, des papiers, et que l’on ne puisse imaginer qu’il entre, dans ce que tu fais la moindre crainte. Ces précautions seront, je l’espère, très inutiles, mais qu’importe ; dans le moment actuel, il faut tout prévoir.

Vends tes moutons, le prix que tu en trouveras, mais argent comptant. Tu feras vendre aussi à la Saint-Roch, une paire de bœufs, et une autre paire à la Saint-Barthélemy. Les six paires restantes, avec les mulets, feront le service, quitte à en racheter si les affaires prennent une marche plus tranquille. En cas d’événements, tu seras mieux et plus en sûreté à Poitiers qu’à Marsay. L’intérêt public protège, dans une grande ville, l’intérêt particulier. (…)

Quant à notre récolte, tu vendras, à mesure que le blé sera battu, mais sans affectation, uniquement comme ayant besoin d’argent. Lorsque tu auras une certaine somme, tu la serreras dans quelque endroit sûr, qui ne craigne pas le feu, mais non dans le Trésor, car, si l’on venait à Marsay, je ne crois pas que ce fût pour brûler le château, étant trop aimé dans le pays, mais pour brûler les titres de rentes et devoirs. Tu pourras donc cacher ton argent dans le second caveau, sous la salle, dedans la grande cave, en un endroit où il n’y ait pas de vin.

(…)
Adieu. « 

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* Correspondance inédite 1789, 1790, 1791 de Charles-Élie de Ferrières-Marsay, député de la noblesse de la sénéchaussée de Saumur aux États généraux de 1789 publiée et annotée par Henri Carré /  Librairie Armand Colin 1932 /dans la collection Les Classiques de la Révolution française – publiés sous la direction de M. Albert Mathiez
** Labbé est un homme de confiance
*** terme de féodalité – acte établissant une vassalité
**** malle en cuir

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La nuit du 4 août 1789 …

4 août 2010

Note mise en avant le 4 août 2017 pour une comparaison  avec l’actuelle Assemblée nationale et son parti majoritaire de « la République en marche » du président Macron,  ♦ « politicien à la journée » dirait Jaurès.

    –
    Trois semaines après la Prise de la Bastille, alors que la Constituante préparait la Déclaration des Droits de l’homme, la révolution paysanne était en marche…

Voilà ce qu’en écrit Jean Jaurès (1) :

« 
Elle [la Constituante] était tout entière à ce haut et noble travail, quand les premières nouvelles du soulèvement des campagnes lui parvinrent. Elle apprit de toutes parts, dans les derniers jours de juillet et les premiers jours d’août, que les paysans, devançant ou dépassant même par leur action spontanée les décisions du législateur, refusaient le paiement des impôts les plus odieux, comme celui de la gabelle, et des droits féodaux, cens, champart, etc. Ils pénétraient armés dans les châteaux, et, s’abstenant de toute violence contre les personnes, saisissaient et brûlaient les vieux parchemins, les titres anciens et nouveaux d’exploitation féodale. C’était l’abolition violente de tout le système féodal… la grande révolution paysanne s’accomplissant en dehors des formes légales et de la volonté du législateur.
L’émoi fut grand dans l’Assemblée : on eût dit qu’elle hésitait à aborder en face le problème de la féodalité.« 

En cette séance du 4 août, deux membres de la noblesse,  le vicomte de Noailles et le duc d’Aiguillon firent  «  la proposition [qui] était le seul moyen, pour les nobles de retrouver par le rachat l’équivalent des privilèges abandonnés. Les motions de Noailles et  d’Aiguillon, évidemment rédigées d’avance et très calculées jusque dans le détail, attestent … un plan médité et exécuté de sang-froid. (…)
Il serait assez triste, vraiment, que  l’abolition même simulée du privilège féodal fut seulement l’effet d’une manœuvre des nobles, et il serait douloureux que l’âpre voix paysanne n’eût pas retenti, en cette minute historique, dans la grande assemblée bourgeoise, devant ces seigneurs qui venaient d’étaler je ne sais quel sacrifice équivoque où il entrait sans doute, même à leur insu, autant de calcul que de générosité.
Mais un obscur député Le Guen de Kerangall [ propriétaire à Landivisiau, député du Tiers État de la sénéchaussée de Lesneven], de cette province bretonne qui avait tant souffert de la dureté des nobles, se leva, et on eût dit que des souffrances longtemps contenues et comme ensevelies faisaient soudain éclater la terre.
–  » Messieurs, (…) le peuple impatient d’obtenir justice s’empressa de détruire ces titres, monument de la barbarie de nos pères.
Soyons justes, Messieurs, qu’on nous apporte ici les titres qui outragent…l’humanité même. Qu’on nous apporte ces titres qui humilient l’espèce humaine, en exigeant que les hommes soient attelés à une charrue comme les animaux du labourage. (…)
– Qui de nous, Messieurs, dans ce siècle de lumière, ne ferait pas un bûcher expiatoire de ces infâmes parchemins et ne porterait pas la flamme pour en faire un sacrifice sur l’autel de la patrie ?« 

C’est ainsi qu’en cette nuit du 4 août,   la révolution paysanne s’ imposa au législateur, même s’il fallût attendre la Convention et le 17 juillet 1793 pour en finir vraiment avec les droits féodaux.

«  Le texte définitif, rédigé par Du Port, et adopté dans la séance du 6 août fut ainsi conçu :
 » L’Assemblée nationale abolit (2) entièrement le régime féodal ; elle décrète que dans les droits et devoirs tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la mainmorte réelle ou personnelle et à la servitude personnelle, et ceux qui les représentent sont abolis sans indemnité. Tous les autres sont déclarés rachetables, et le prix et le mode de rachat seront fixés par l’Assemblée nationale. Ceux desdits droits qui ne sont point supprimés par ce décret continueront néanmoins à être perçus jusqu’au remboursement.

Dans le journal Les Révolutions de Paris (3), Loustalot …  raconte qu’à la nouvelle des décrets qui abolissaient les privilèges des ordres et la tyrannie féodale les citoyens s’embrassaient dans les rues ; dans les campagnes le retentissement fut immense.« 

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Histoire socialiste de la Révolution française  ( Éditions sociales 1977) Tome I La Constituante (1789 -1791)
Édition revue et annotée par Albert Soboul.

 » C’est le 10 février 1900 que l’on vit apparaître sur les murs de Paris les énormes affiches rouges qui annonçaient aux habitants de la capitale la mise en vente imminente des premières livraisons que les souscripteurs avaient déjà reçues. Elles se succédèrent à un rythme rapide bihebdomadaire. (…) Les derniers fascicules furent publiés en 1903. Cette régularité, cette promptitude n’avaient rien d’exceptionnel : le système en était à l’époque fort répandu et la maison d’édition  populaire Jules Rouff, sise cloître Saint-Honoré, avait déjà publié sous cette forme l’Histoire de France de Michelet et les œuvres de Victor Hugo. (…)
Comme l’écrivait Jaurès dans son « Introduction générale », c’est d’abord au peuple de France, « aux ouvriers, aux paysans » que s’adressait l’Histoire socialiste.(…) 
Il fallait donc rééditer ce livre (…) Qu’il puisse aider enfin ceux qui aujourd’hui prennent au sérieux la vie publique, c’est ce que Jaurès lui-même suggérait le 4 janvier 1914, dans un de ses derniers articles de la Revue de l’Enseignement primaire :
 » L’Histoire ne fournit pas de similitudes complètes et elle ne dispense pas les vivants d’une perpétuelle invention dans le combat. Mais elle suggère d’intéressantes analyses, et surtout elle constate quelques résultats, ♦
elle met en évidence quelques grandes forces que le politicien à la journée pourrait méconnaître ou sous-évaluer, dans la nuée de poussière que soulèvent les pieds des passants.
Parmi ses forces, il faut ranger le prolétariat , qu’il n’est au pouvoir de personne d’éliminer de la vie nationale et internationale. »
Madeleine Rebérioux  [Le Livre et l’Homme (pp.35-51).]

2  Jean Jaurès met le mot  abolition  entre guillemets dans le titre de son paragraphe.

3  n°4  Événements du 2 au 8 août.

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