A/ Août – septembre 1914

 

                                                             Août 1914

 

 Le 28 juin 1914, le couple princier Autrichien, l’archiduc François Ferdinand et son épouse Sophie étaient assassinés à Sarajevo, par un citoyen serbe de Bosnie. Rapporté par les journaux, ce tragique événement avait rencontré relativement peu d’écho parmi les collègues de travail d’Émile.

Comme beaucoup de Rouennais, il avait pu lire dans le Journal de Rouen des commentaires sur ce drame dans les Balkans et les conséquences qu’il pouvait avoir avec, à la clef, une confrontation armée toujours possible.

Et en effet, l’Allemagne, par le biais de ses alliés était directement concernée par les événements, ce qui inquiétait un peu Émile. Les bruits de guerre devenaient insistants comme cela avait déjà été le cas à deux ou trois reprises dans le passé.

Ainsi, en 1905 puis en 1911, c’était à propos du Maroc qu’un conflit avec l’Allemagne avait pu être évité et l’on évoquait souvent une guerre franco-allemande à venir. On s’y attendait toujours un peu, mais pas vraiment !

Et puis avec Jaurès qui voulait  » sopposer à la guerre sans exclure aucun moyen « , tous ces mouvements socialistes français et allemands qui militaient bruyamment ensemble pour la paix, cela paraissait constituer un bon rempart contre la guerre. Lors de son congrès de Stuttgart en 1907, la IIème Internationale Socialiste n’avait-elle pas déclaré  » la guerre à la guerre «  et organisé depuis et à de nombreuses reprises de puissantes manifestations pacifistes ?

 Il y a trois ou quatre ans, les journaux avaient beaucoup écrit sur ces guerres qui avaient opposé l’Empire Ottoman à des pays de la région regroupés en une Ligue balkanique. Et puis on n’en avait plus entendu parler. Pour Émile, les Balkans, c’était bien loin ! Il savait en gros situer quelques-uns des pays de la région, la Serbie ou la Grèce et bien évidemment l’Autriche ; cette Autriche dont il aimait tant les musiques et les musiciens. Mais de la Macédoine, de la Bosnie, du Monténégro, de la Roumélie Orientale ou de l’Herzégovine, il ignorait tout. « Allez ! Encore un problème dans la région  » avait-il pensé, persuadé que ce conflit naissant s’éteindrait localement, comme les précédents, sans que les grandes puissances n’interviennent directement.

 Un peu d’histoire   ² Les  Balkans                     
 
Les Balkans, la  » poudrière  » des Balkans ainsi qu’on l’avait baptisée, c’était ce bout d’Europe qui finissait sur la rive ouest de la mer de Marmara, entre les Dardanelles et le Bosphore, une sorte de péninsule formée par les rivages qui en bordaient les flancs : l’Adriatique, la mer Ionienne, la mer Égée, la mer Noire.
En 1914, les peuples des Balkans, c’était la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, l’Albanie et d’autres encore… une diversité de communautés ethniques aux langues et aux cultures différentes, une mosaïque de nations imbriquées avec des populations tantôt soumises, tantôt libérées, des provinces partagées, des frontières mal définies.
Signifiant les « Montagnes » en turc, la région des Balkans avait été conquise militairement par les Ottomans au début du XVème siècle. Avec leurs Sultans, leurs vizirs et leurs pachas ils avaient imposé dans cette région de leur immense empire, une dictature théocratique musulmane à la fois monarchique et tribale qui s’était exercée pendant des siècles sur des populations majoritairement chrétiennes.
Depuis, la région était devenue un espace d’affrontement quasi permanent. Soumis à la loi coranique, les chrétiens vivant dans l’empire ottoman et que l’on nommait les dhimmis avaient un statut de citoyens inférieurs. Le droit d’exister qu’on leur accordait leur permettait de pratiquer leur religion, parfois de posséder des biens, mais au prix de très lourds impôts.
Et bien que les Turcs aient massivement converti les populations à l’islam, il subsistait dans la région une forte influence chrétienne, orthodoxe et catholique, parfois majoritaire dans certains pays comme la Grèce ou dans certaines provinces de l’Empire Ottoman où s’étaient regroupés des chrétiens, comme les Arméniens chassés de leur pays par les Turcs.
A partir de ces territoires colonisés du continent européen, les Turcs avaient tenté d’élargir leurs conquêtes au-delà du Danube, vers l’Autriche et la Pologne, mais sans succès, les populations autrichiennes avaient su contenir l’envahisseur à deux reprises. Une première tentative avait eut lieu en 1529. Après un terrible siège de Vienne, les habitants de la ville repoussèrent l’envahisseur. Une seconde fois, en 1683, les Turcs tentèrent la conquête de la capitale des Habsbourg. Cette fois encore l’Autriche, épaulée par la Pologne allait l’emporter sur les Ottomans, écrasant leurs janissaires et leurs bachi-bouzouks, une victoire qui allait porter un coup d’arrêt décisif à l’expansionnisme ottoman !
D’ailleurs, si l’on en croit la petite histoire, le croissant, cette  » viennoiserie  » très prisée des petits déjeuners devrait son origine à l’échec de cette seconde tentative de conquête. Une nuit de septembre 1683 les boulangers de Vienne, affairés dans leurs fournils auraient entendu des bruits de sape des Turcs assiégeant la ville et donné l’alerte. Leur vigilance ayant permis de repousser l’assaut, le souverain Léopold 1er leur aurait accordé le privilège de fabriquer une pâtisserie à la forme dérivée du croissant ottoman en souvenir de cet événement.
C’est également en cette fin du 17ème siècle que l’Autriche, profitant du reflux Ottoman allait conquérir une grande partie de la Hongrie. Ce n’est que bien plus tard, en 1867, que l’Empire d’Autriche et le Royaume de Hongrie réuniront leurs territoires pour en faire une double monarchie, l’Empire d’Autriche – Hongrie.


² Cent ans de conflits dans les  Balkans    

Au cours du XIXème siècle la région des Balkans allait connaître de multiples soulèvements. Les Turcs vont être confrontés à une première révolte Serbe en 1804. Au prix d’une sanglante répression, les Serbes vont obtenir l’autonomie de plusieurs territoires.
En 1821, c’est au tour de la Grèce de se révolter, une guerre de libération qui allait avoir un retentissement considérable en Europe et bien au-delà.
La population grecque va se soulever à trois reprises en 1821 : les deux premières tentatives échouent, mais la troisième s’étend à tout le pays et sera sauvagement réprimée par les Turcs.
L’année suivante, la révolte s’organise et les Grecs proclament l’indépendance. Les Turcs répondent à cette volonté d’émancipation par d’épouvantables massacres. Avec l’appui des armées Egyptiennes, les Turcs vont exercer une répression féroce qui va durer jusqu’en 1826.
 Du monde civilisé, un immense mouvement philhelléniste allait se manifester : hommes politiques, intellectuels, gens du peuple allaient exprimer leur attachement à la Grèce, creuset de la culture occidentale.
Aux côtés de nombreux intellectuels, artistes et poètes, Victor Hugo mènera la lutte pour la Grèce et la liberté. Son recueil de poèmes  » Les Orientales » témoigne de cette indignation et de son combat :

                       « Les Turcs ont passé là : tout est ruine et deuil.
                        Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil, » (L’enfant) 

L’Europe va décider d’intervenir en 1827 pour répondre à un mouvement de solidarité grandissante des peuples européens au récit des atrocités commises par les armées ottomanes. La France, l’Angleterre et la Russie se mobiliseront et vont écraser la flotte turque à Navarin et ce sont deux armées Russes appuyées par un corps expéditionnaire Français débarqué au Péloponèse qui vont aider la Grèce à recouvrer son indépendance en 1829.

                            «  Console-toi : la Grèce est libre.                             
                             Entre les bourreaux, les mourants,
                             L’Europe a remis l’équilibre ;
                             Console-toi : plus de tyrans !  »      (V Hugo Ode au héros Grec Canaris) 

 Un quart de siècle plus tard, prenant pour prétexte un conflit religieux portant sur la garde des lieux saints chrétiens et orthodoxes, la Russie allait entamer à partir de 1853 une guerre contre les Ottomans, la  » guerre de Crimée « .
Cette guerre qui allait se dérouler avec les mêmes protagonistes, mais sur la rive Nord de la Mer Noire, visait surtout à étendre le territoire de la Russie et à lui assurer un débouché vers la Méditerranée pour ses ports de la Mer Noire.
Alliés cette fois à l’empire Ottoman, les Anglais, les Français et les Sardes Piémontais vont battre la Russie en 1856 après de rudes batailles et un long siège de Sébastopol. A la fin de cette guerre, la Mer Noire sera déclarée zone neutre et la Russie renoncera à ses prétentions maritimes.
Quelques années encore et c’est en 1862 qu’une lutte libératrice des Moldaves et des Valaques allait conduire à la création de la Roumanie. La même année, il y avait eu une première insurrection des Chrétiens de Bosnie Herzégovine, puis une seconde en 1875 – 1876 avec un soulèvement des Bulgares, des Serbes et des Monténégrins.
En 1877, une guerre avait à nouveau opposé Russes et Turques. La Russie victorieuse avait imposé à la Turquie en mars 1878 le traité de San Stefano qui accentuait le démantèlement de l’Empire Ottoman.
Trois mois plus tard, le Congrès de Berlin entérinait la libération de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro et plaçait la Bosnie Herzégovine sous administration Autrichienne. La tension restait vive et la région allait encore connaître en 1885 une guerre entre la Serbie et la Bulgarie.

L’empire Ottoman lui-même, d’abord en 1895 puis en 1898 avait été en proie à des luttes internes. Et dix années plus tard, en 1908 une « révolution ottomane » avait porté au pouvoir le mouvement Union et Progrès des « Jeunes Turcs « .
Etudiants ou exilés dans différents pays d’Europe, les Jeunes Turcs prétendaient mettre fin à un régime dictatorial corrompu. Ils allaient porter au pouvoir un nouveau Sultan et doter le pays d’une Constitution parée de la devise de la République Française: « Liberté, Égalité, Fraternité ». Mais cette devise généreuse et le système parlementaire qu’ils imposeront ne changeront pas la nature despotique de l’empire Ottoman.
Le gouvernement mis en place par les Jeunes Turcs choisira même de s’allier à l’Allemagne. La Turquie entrera en guerre aux cotés des Empires Centraux le 1er novembre 1914, avec pour objectif de reconquérir ses territoires perdus au profit de l’empire russe lors de la guerre de 1877-78.
Prenant prétexte de ce conflit, les Jeunes Turcs vont décider d’éliminer la minorité Arménienne de Turquie. Au printemps 1915, arguant du soutien des Arméniens à l’armée Russe, le ministre de l’intérieur Talaat Pacha ordonnera de  » détruire tous les Arméniens résidants en Turquie…de mettre fin à leur existence « . La Turquie organisera alors l’extermination méthodique de tous les Arméniens vivants à Istanbul, en Cilicie et dans les autres provinces de Turquie puis elle déportera en Syrie Ottomane les quelques centaines de milliers d’Arméniens survivants.

Septembre 1911 avait connu le début d’énièmes «  guerres balkaniques  », avec une guerre Italo-Turque qui allait prendre fin en 1912 avec le traité de Lausanne, lequel accordait à l’Italie la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Dodécanèse. Puis, toujours en 1912, la Bulgarie, la Serbie, la Grèce et le Monténégro regroupés dans une « Ligue balkanique » avaient attaqué l’Empire Ottoman affaibli, libérant l’Albanie, la Macédoine et la Thrace.
Enfin en 1913, c’était l’an passé et l’on avait bien peu parlé de ces évènements aux Ateliers, la Bulgarie avait été battue par ses anciens alliés, la Serbie et la Grèce. Cette guerre s’achevait, provisoirement, par un traité de Bucarest qui partageait la Macédoine entre la Grèce et la Serbie. La Roumanie y gagnait également du territoire vers le sud.
Cet ultime dépeçage marquait la fin de l’Empire Ottoman d’Europe qui allait disparaître en 1923 pour laisser la place à la Turquie, laquelle ne conservera plus sur le continent européen que le territoire d’Istanbul, l’ancienne Constantinople Chrétienne conquise en 1453.
De luttes émancipatrices en guerres d’annexion, il y avait eu tant de conflits dans cette région en un siècle qu’il était bien difficile d’y voir clair dans cette tumultueuse histoire, même pour un observateur averti.                          

          C’est peu de dire qu’Émile et ses collègues métallos aux Ateliers n’avaient qu’une idée très confuse des raisons de cette lointaine agitation récurrente dans les Balkans. Et ils étaient loin d’imaginer que le double meurtre commis à Sarajevo allait conduire deux mois plus tard à une guerre qui embraserait toute la planète.

 
La déclaration de guerre

 

Instables, manquant d’institutions solides, les petits pays des Balkans libérés du joug turc étaient l’objet de convoitises de la part des pays voisins, l’enjeux de rivalités entre grandes puissances européennes alors rassemblées autour de deux organisations militaires rivales : une « Triple Entente » Franco-Russe et Anglaise et une « Triple Alliance » composée de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie et de l’Italie.
Dès la fin de la guerre de 1870 durant laquelle les  » Prussiens » avaient sévèrement battu la France, le Royaume de Prusse et ses douze provinces avaient été intégrés à l’Allemagne, constituant ainsi l’Empire d’Allemagne qui regroupait vingt cinq États. Et c’est le roi de Prusse Guillaume Ier qui était devenu en 1871 le  » Kaiser » , le premier Empereur de ce nouvel Empire d’Allemagne.
Ensuite, l’Empire d’Autriche et le royaume de Hongrie déjà réunis avaient formé avec le nouvel Empire d’Allemagne un vaste conglomérat que l’on nommait alors les « Empires Centraux ».
Puissamment armée, l’Allemagne avec ses visées expansionnistes belliqueuses avait fait de la Turquie, qui se battait pour conserver les restes de son empire, son alliée circonstancielle !

 

                                         Le plan Schlieffen

Depuis la création de son Empire, l’Allemagne avait réussi un énorme bond économique. Après avoir dépassé l’Angleterre, reine incontestée des nations industrielles au début du dix neuvième siècle, l’Allemagne se situait en 1914 au second rang derrière les Etats Unis d’Amérique.
Mais cet empire économique, cette nouvelle puissance industrielle avaient besoin d’espace pour prospérer ce qui conduisait l’Allemagne à envisager de nécessaires conquêtes territoriales ou coloniales comme l’avaient fait avant elle la France ou l’Angleterre.
L’obstacle majeur à cette expansion, c’était d’abord la Russie, ennemi séculaire de l’Allemagne. Alliée historique de la Serbie et des peuples Slaves de la région, de confession orthodoxe, la Russie les avait souvent soutenus dans le passé. La France, liée par des accords militaires à la Russie constituait un second obstacle.
Aussi le second Empereur d’Allemagne, Guillaume II s’était-il préparé de longue date à réduire ces deux pays. Dès 1905, son état major avait adopté un dispositif de guerre contre le double front Franco-Russe, un projet dont le détail avait été publié sous le nom de  » plan Schlieffen « .
Constatant qu’il serait beaucoup plus facile d’investir Paris depuis les plaines du Nord et de Picardie que par une attaque frontale dans les régions escarpées et fortifiées d’Alsace – Lorraine ou des Vosges, le plan Schlieffen prévoyait d’attaquer l’armée Française sur son flanc gauche en pénétrant en France par le Luxembourg et la Belgique. Cette invasion éclair devait être immédiatement suivie d’une avancée rapide sur Paris.
L’Allemagne mobiliserait l’essentiel de ses troupes dans cette première phase de la guerre qui devait être conduite en six semaines, le temps estimé nécessaire pour que la Russie mobilise son armée. La France réduite dans ce délai, l’armée allemande pouvait alors redéployer ses troupes contre la Russie. C’est ce plan qui allait être mis à exécution en août 1914.  Mais en ce début d’été 1914, c’est la Bosnie – Herzégovine qui venait d’être le théâtre d’un drame avec l’assassinat à Sarajevo de son protecteur, le prince autrichien. Petit pays de cette région meurtrie, séparé de la Serbie en 1903, la Bosnie Herzégovine avait été d’abord administrée, puis annexée par l’Autriche en 1908. L’archiduc François Ferdinand pensait-on, voulait accorder aux bosniaques, devenus citoyens autrichiens par l’annexion, des droits qui auraient rendu plus difficile le retour de la Bosnie dans le giron d’une Grande Serbie.Ce risque d’émancipation de la Bosnie minait les projets d’expansion territoriale de la Serbie, créant une situation insupportable pour les nationalistes Serbes.
Et ce sont en effet des activistes de la minorité Serbe de Bosnie, regroupés dans des structures formées par la Serbie pour fomenter des actions terroristes, des organisation clandestines comme  » La Main Noire  » qui avaient préparé l’assassinat du couple princier Autrichien.
Quelques semaines après ce double assassinat, l’Autriche, forte de l’appui de l’Allemagne avait adressé un ultimatum à la Serbie le 23 juillet 1914. Cet ultimatum en six points demandait en substance la condamnation officielle de la propagande serbe en Autriche Hongrie ainsi que celle des officiers et fonctionnaires qui y participaient, la dissolution des sociétés engagées dans les activités terroristes comme la  » Main Noire « , et, dernier point, il exigeait la présence de fonctionnaires austro-hongrois auprès des administrations serbes.
La Serbie avait répondu favorablement à cet ultimatum mais en refusant le sixième point, une clause inacceptable de mise sous quasi tutelle de son administration par l’Autriche. Le gouvernement Austro-Hongrois rejettera la réponse de la Serbie en s’appuyant sur ce refus attendu et le 27 juillet, il va publier un communiqué dans lequel il se considère en guerre avec la Serbie.Il devint vite évident que ce conflit ne demeurerait pas Austro-Serbe : la Russie, à l’annonce de la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie avait commencé à mobiliser et il ne faisait aucun doute qu’elle interviendrait pour soutenir la Serbie menacée.
Le 31 juillet 1914 le second Empereur d’Allemagne, le Kaiser Guillaume II décrétait une situation jusque là inédite, l’état  » de menace de guerre  » et déclarait  » se trouver dans la nécessité de pourvoir lui-même à la sauvegarde des intérêts de l’Autriche et de recourir à cet effet à la force des armes « . Pour prendre de vitesse l’armée Russe et son alliée Française, l’Allemagne avança sa déclaration de guerre à la Russie au 1er Août 1914.

 

 

Dimanche 2 août 1914 : Mobilisation générale

 Émile, tout comme ses collègues, suivait avec inquiétude les développements de la situation. Ils s’inquiétaient d’ailleurs plus pour leurs proches que pour eux-mêmes. Plus de la moitié d’entre eux avaient dépassé la quarantaine et ils ne pensaient pas qu’une éventuelle mobilisation pourrait les atteindre à leur âge.
Au fil des semaines, les tensions internationales s’affichaient en gros titres dans les journaux qui devenaient de plus en plus alarmistes. En juillet 1914, La CGT et la SFIO multipliaient les prises de position et les manifestations en faveur de la paix. Le 29 juillet, une réunion de responsables des partis socialistes européens allait se tenir à Bruxelles. Aucune action concertée contre la guerre ne pourra y être décidée. Pour les pacifistes, c’est l’échec !
Jaurès, qui se démenait toujours pour tenter de trouver une illusoire issue pacifique sera assassiné le 31 juillet 1914 par un activiste de l’Action Française. C’en était fini de son utopie généreuse, du pacifisme et de la guerre à la guerre ! Le jour même, la CGT va s’aligner sur les positions de la SFIO dont le pacifisme militant s’était transformé en une sorte de résignation patriotique.
Certains journaux avaient laissé entendre que ce retournement était lié à des tractations entre gouvernement et opposition visant à la non application de l’instruction secrète du 1er novembre 1912.
Cette instruction de 1912 réactivait le « Carnet B » du général Boulanger en ordonnant d’établir un fichier des antimilitaristes et des personnes pouvant nuire à l’ordre public, avec les consignes afférentes visant à neutraliser ou à arrêter les  « suspects  » en cas de mobilisation ou de troubles. Nombre de responsables politiques et syndicaux, dont Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT figuraient en effet sur la liste du  » carnet B « , ce qui avait pu alimenter la rumeur. Mais l’application de cette directive ne fut pas nécessaire, comme l’annonça officiellement le 1er août le ministre de l’intérieur. Jaurès assassiné, les socialistes Français s’étaient rangés aux cotés du gouvernement et des ultras de l’Action Française de Maurras dans une « Union Sacrée » contre l’envahisseur.

 La guerre étant inévitable, la mobilisation générale est décidée en France, le samedi 1er août 1914 pour le lendemain. C’est également le 1er août 1914 que l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Deux jours plus tard, le 3 août ce sera la déclaration de guerre à la France. Ambitions territoriales, rivalités impérialistes, nationalismes exacerbés, très vite, la moitié du monde entrera en guerre. Par le jeu des alliances militaires une quarantaine d’autres pays agressés, agresseurs ou alliés, participeront à ce conflit mondial qui dépassera largement l’Europe et les Balkans pour s’étendre en Extrême Orient, en Afrique, au Moyen Orient, dans le Pacifique. Trois ans plus tard, après l’entrée en guerre de la Chine, du Japon puis des Etats Unis en 1917 il ne restera pratiquement plus un pays qui ne soit pas en guerre.

                Samedi 1er août 1914, le tocsin avait longuement sonné dans l’après-midi et les Rouennais accourus purent lire, avant les affiches officielles, les télégrammes apposés devant la mairie, la gare, le bureau des Postes et Télégraphes et d’autres lieux publics :

 » Extrême urgence.
ORDRE DE MOBILISATION GÉNÉRALE
Le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 août
 »

 Conformément à l’ordre de mobilisation  » porté à la connaissance des populations par voie d’affiches ou de publication sur la voie publique » ainsi que le stipulait le fascicule de mobilisation, tous les citoyens immédiatement mobilisables durent rejoindre le point de rassemblement qui leur était assigné.

 Chaque réserviste conservait son livret militaire individuel auquel était agrafé un fascicule de mobilisation et une feuille de route de couleur rose. Le fascicule précisait le point à rallier en cas de mobilisation générale et la feuille de route fournissait au soldat les moyens de s’y rendre. 
          A quarante ans échus, Emile, exempté du service à vingt ans et qui n’avait reçu aucune formation militaire ne fut pas touché par cet appel à la mobilisation générale. Pas encore !

… à suivre…          …………………………………………………

Les commentaires sont clos.