Pour encourager nos futur(e)s bachelier(ière)s

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… ou les conseils de Claude Lévi-Strauss pour réussir votre dissertation

Toutes celles et  tous ceux qui, dans leur bel âge, sont engagé(e)s dans  cette  précieuse initiation à la pensée philosophique  dispensée uniquement dans la classe terminale de l’enseignement secondaire, feront leur miel de ce que Claude Lévi-Strauss,  à l’esprit aussi aiguisé que le verbe, narra dans  la deuxième partie (Feuilles de route) de son livre Tristes tropiques  avec une belle franchise, une modestie déconcertante, une lucidité exemplaire, sur sa formation universitaire de professeur de philosophie… et sur ce qui s’ensuivit.

p. 52 « Je préparais l’agrégation de philosophie vers quoi m’avait poussé moins une vocation véritable que la répugnance éprouvée au contact des autres études dont j’avais tâté jusque- là. (…)
Là, j’ai commencé à apprendre que tout problème, grave ou futile, peut être liquidé par l’application d’une méthode, toujours identique, qui consiste à opposer deux vues traditionnelles de la question ; à introduire la première par les justifications du sens commun, puis à les détruire au moyen de la seconde ; enfin à les renvoyer dos à dos grâce à une troisième qui révèle le caractère également partiel des deux autres, ramenées par des artifices de vocabulaire aux aspects complémentaires d’une même réalité : forme et fond, contenant et contenu, être et paraître, continu et discontinu, essence et existence, etc. Ces exercices deviennent vite verbaux, fondés sur un art du calembour qui prend la place de la réflexion ; les assonances entre les termes, les homophonies et les ambiguïtés fournissant progressivement la matière de ces coups de théâtre spéculatifs à l’ingéniosité desquels se reconnaissent les bons travaux philosophiques.» (…)

comment aborder sereinement le concours d’agrégation… et le métier de professeur de philosophie

p.54 « D’habitude, le concours d’agrégation est considéré comme une épreuve inhumaine au terme de laquelle, pour peu qu’on le veuille, on gagne définitivement le repos. Pour moi, c’était le contraire. Reçu à mon premier concours, cadet de ma promotion, j’avais sans fatigue remporté ce rallye à travers les doctrines, les théories et les hypothèses. Mais c’est ensuite que mon supplice allait commencer [ après avoir passé au lycée de Mont-de-Marsan une année heureuse à élaborer mon cours en même temps que j’enseignais, je découvris avec horreur dès la rentrée suivante, à Laon où j’avais été nommé, que tout le reste de ma vie consisterait à le répéter. Or,  mon esprit présente cette particularité, qui est sans doute une infirmité, qu’il m’est difficile de le fixer deux fois sur le même objet.] (…)»

puis le métier d’ethnographe

p.55 « Aujourd’hui, je me demande parfois si l’ethnographie ne m’a pas appelé, sans que je m’en doute, en raison d’une affinité de structure entre les civilisations qu’elle étudie et celle de ma propre pensée. les aptitudes me manquent pour garder sagement en culture un domaine dont, année après année, je recueillerais les moissons : j’ai l’intelligence néolithique. Pareille aux feux de brousse indigènes, elle embrase des sols parfois inexplorés ; elle les féconde peut-être pour en tirer hâtivement quelques récoltes, et laisse derrière elle un territoire dévasté. »

             Loin des sophistes, des bavards et des arrogants, Claude Lévi-Strauss savait parler vrai, y compris sur lui-même.
Quel bel exemple pour encourager toutes les jeunes et fertiles intelligences !

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* Tristes tropiques (écrit en quatre mois en 1954) [VI.- Comment on devient ethnographe]   Plon 1955 réédition 2010 Terre Humaine / Poche (fondée et dirigée par Jean Malaurie)

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            Appendice poétique  …  pour  étude de style    

Au chapitre VII Le Coucher de soleil  (Feuilles de route), vous trouverez huit pages écrites en italique et en bateau   – ébauche d’un premier roman qu’il n’écrira pas – et dont voici un extrait p. 73 : «… le ciel passe du rose au vert, mais c’est parce que je n’ai pas pris garde que certains nuages sont devenus rouge vif, et font ainsi par contraste, paraître vert un ciel qui était bien rose, mais d’une nuance si pâle qu’elle ne peut plus lutter avec la valeur suraiguë de la nouvelle teinte que pourtant  je n’avais pas remarquée, le passage du doré au rouge s’accompagnant d’une surprise moindre que celui du rose au vert… »

Et vu par Charles Baudelaire   Le Coucher du soleil romantique  (Les Fleurs du mal Les Épaves 1866 nrf Poésie/Gallimard )

Que le soleil est beau quand tout frais il se lève,
Comme une explosion nous lançant son bonjour !
– Bienheureux celui-là qui peut avec amour
Saluer son coucher plus glorieux qu’un rêve !

Je me souviens !… J’ai vu tout, fleur, source, sillon,
Se pâmer sous son œil comme un cœur qui palpite…
– Courons vers l’horizon, il est tard, courons vite,
Pour attraper au moins un oblique rayon !

Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire ;
L’irrésistible Nuit établit son empire,
Noire, humide, funeste et pleine de frissons ;

Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,
Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage,
Des crapauds imprévus et de froids limaçons.

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Les Bobus des médias 2011-2012

     Note complétée le 30 mai 2012    

Palmarès des médias français bredouillant le Bobu

   Définition du BOBU par L’ingénue :
Langue française devenue jargon quotidien des Bobos des médias

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           ♦ Dans la catégorie  Presse / journaux quotidiens et magazines  – papier et sites

Le  premier prix est décerné

                    au journal Le Monde  / Le Monde.fr
« Déluge de crash » du 29 juillet 2011« le site de CHARLIE HEBDO a été hacké » du 2 novembre 2011

« … son côté girl next door» du 1er février 2012

Pour la typographie erronée de l’écran du monde.fr, rubrique Votre avis :  suppression  de l’apostrophe  – du œ (c  ur) etc.

♦♦♦

Mention spéciale

pour le clin d’œil à M. Strauss- Kahn des lecteurs  du monde.fr le 11 novembre 2011 :

« L’article qu’ils ont le plus « aimé » sur facebook était  : « La taxe sur les nuitées en hôtel de luxe supprimée. » 


Le  second prix ex-æquo est décerné

au journal  Le Figaro.fr 

Pour «  l’opening partie LV »  –  « les people sont-ils fashion compatibles ?  Yvan A  et Charlotte G – pas facile quand on est deux people unis  » et  «  kitchen week » «  mass mode par Karl L » et « un dressing noir et blanc » « la robe ultra glam »  du 27 septembre 2011

 au journal Libération.fr 

Pour libéfood (beurk) et «  la prochaine slutwalk  française (sic) n’a pas de dresscode » du 27 septembre 2011

                

          ♦ Dans la catégorie  Radio/ service public / émissions et sites

Le  premier prix  ex-æquo est décerné

♦  à Radio France :  France Culture / France Culture.fr/ France Inter

♦  Pour l’impossibilité de neutralité politique qui est respect de l’auditeur : on notera la prégnance de l’opinion à 90% PS des journalistes et des  présentateurs ; avec pour effet secondaire et navrant, la saturation pendant six mois en 2011 des ondes du service public, par  l’affaire américaine des tribulations sexuelles de M. Strauss-Kahn – le  candidat favori des Primaires PS.

   ♦  Pour  le laxisme « tankiste -de think tank », ravageur pour la langue française, des producteurs de France Culture.
De quelle culture s’agit-il quand ils nous abreuvent « de main stream, de work in progress, de coach et de coaching, de gore, de design, de designer et de designer’s day, de think tank, de relooking, de casting, de crash, de fight club, de pitch, de performer, de podcast et de podcaster,  de timing, de show room, de trash, de people, de live, de buzz, de tweet, de chat, de talk show » …etc.   jusqu’à la nausée ?

    ♦ Pour France Inter avec «Zi artist a buzzé» et « slice les poireaux» etc.

                                          Me
ntion spéciale

 Pour le rédacteur de « Au fil des ondes » du 17.01.2012, sur le site,  qui se félicite du « record historique d’audience pour France Culture : 1,9%  d’audience cumulée selon Catch up (sic)  Médiamétrie » et ajoute élégamment :
« France Culture c’est la radio durable…  avec des podcasts de plus en plus téléchargés » 
                   
 
          ♦ Dans la catégorie  Télévision / avec nos redevances / émissions et sites ♦
     ♦ Pour le mot live figé sur l’écran de  chaque  spectacle en direct,   pour le très médiocre ARTE webSlam 2008-2010, et pour l’écran d’accueil du site surabondant en expressions bobues.
La  rédaction de la chaîne franco-allemande  titillée par le  « politiquement correct façon bobo-tendance Californie» s’oblige à distordre  et/ou à supprimer le français.
Si Arte affiche dans son rapport d’activité 2011 : « La créativité pour mot d’ordre », on constate que cela n’est pas dans le domaine de la communication avec le public français qui paie la redevance, ni dans la promotion de la francophonie.
Aucune créativité donc  pour Arte on-screen et Arte off-screen  :   les mots de son internet  sont formatés banalement en webisodes/ webséries/  webfictions/ webdocus / webslam / chats etc.

 ⇒         Ainsi, comme c’est déjà visible et audible dans tous les autres médias,  on voit disparaître la finesse  d’esprit, l’élégance et  la richesse d’un patrimoine linguistique qui a inventé pendant des siècles avec la pensée des humanistes, la philosophie des Lumières et la volonté d’un peuple,  la liberté de conscience et la libération de l’obscurantisme religieux.

Le  second prix ex-æquo  est décerné

à  France Télévisions  et à  France 5

♦ Pour le nom du site qui serait dédié à la culture (?) : culturebox et son inévitable rubrique live – où l’on trouve encore des reliquats de live de 2009 (Ce soir ou jamais de  M. Taddeï… avec Orelsan qu’il présente comme « la coqueluche du rap français»(sic ) … Inutile d’y chercher Juliette –  un extrait de Tartuffe ou  une sonate de violoncelle  !
   ♦ Pour l’utilisation des mots newsletters / e-mail  / prime /   débrief / et   chat
et pour les titres  phonétiques des émissions  C à vous avec  le live  / C à dire / C dans l’air / C l’info avec la bio express  / C politique  /   Comment ca (sic) va bien. 

                                   ♦♦♦

Mention spéciale

♦ Pour le présentateur  David Pujadas du journal de France 2 le 10.01.2012 : « A l’époque des  SMS, à quoi sert l’Académie française ?» 

♦ Pour la présentatrice Alessandra Sublet de C à vous (France 5) qui, de temps en temps, fait parler ses invités la bouche pleine, sans  jamais leur poser les bonnes questions, et annonce   le  « laïve »  de  Juliette qui,  pour notre plus grand plaisir, est bien présente et vive pour chanter les bobos (de France Télévisions et les autres)  réclamant « un cocktail  Picon oignon goudron … mais bio »  le 2 janvier 2012 !

Rubrique télévisions commerciales
♦ Pour  la présentatrice Laurence Ferrari du journal   de TF1 qui,   sur le plateau ( où les invités comme les journalistes sont toujours surexcités comme des puces) de canal +  le 21 décembre 2011, vante « la coulitude   /coolitude » séduisante  du président Obama.
Comme les Bobus s’adorent entre eux, on lit sur libération.fr du 29 mai 2012 que « cette petite punk de Ferrari » quittant TF1  ira rejoindre Direct 8 ( racheté par canal +) pour un « talk show » dans lequel elle brillera autant que sa collègue de France 5.

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Le  premier prix  est décerné 

                            à  Arte

Pour  « de l’importance du storytelling … une étude en partie crowdsourcée »  du 25 mars 2011

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Le mauvais goût du « ARTE WebSlam »

           

Cela serait dommage de finir 2011 sur le mauvais goût du « ARTE  WebSlam » 😉

Heureusement, après  « ARTE  WebSlam » nous attend le régal de la poésie, comme après le « rap * » il nous reste quelques belles chansons à écouter, et après les graffitis,  il nous reste encore des œuvres d’art à admirer.
Slam, rap et graffitis** qui nous viennent d’Outre Atlantique ont été récupérés côté français par les  médias commerciaux qui en tirent d’énormes profits , mais ce drôle de paquet cadeau n’offre guère  la culture de  l’intelligence et de la sensibilité , « le supplément d’âme ».

Par un hasard curieux, en ce jour de Saint Sylvestre, j’ai  donc découvert sur Arte.tv  le texte d’un gagnant***  du « ARTE   WebSlam » 2008-2010,  qui s’intitulait Le prince charmant. 
              Par ma barbe ! disent l’ingénue et le poireau,  mais quel était alors le niveau des textes des perdants  ?   😉

Les fautes d’orthographe, de grammaire, les erreurs de syntaxe le disputent aux expressions grosssières … bref, ce prince charmant n’a guère de charme. Il faut dire aussi qu’il recherche une « meuf  pour la sortir de je ne sais pas quel merde (sic) dans laquelle elle s’est mise (resic)» … et trouve quelques rimes fameuses  :   avant  charmant / main –  nain /  gentleman – âne /   dulcinée – recalé /  clubbing – parking /  discothèque –  baskets / etc.

Pour faire passer ce  mauvais goût du «ARTE WebSlam »,  j’ai trouvé  par un autre hasard curieux  les mots du plaisir, de l’ivresse, de la jeunesse et de l’amour, dans une poésie toute simple   … Mais un doute me taraude : le jury  2008-2010 du « ARTE   WebSlam » aurait-il retenu ce candidat 😉 ?

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 Il s’agit de  … Victor Hugo,  Volume de vers. La Poésie de la rue  ( Reliquat des Chansons des rues et des bois)

            LES TUILERIES
 Chanson des deux barbares 

Nous sommes deux drôles,
Aux larges épaules,
Deux joyeux bandits,
Sachant rire et battre,
Mangeant comme quatre,
Buvant comme dix.

Quand, vidant les litres,
Nous cognons aux vitres
De l’estaminet,
Le bourgeois difforme
Tremble en uniforme
Sous son gros bonnet.

Nous vivons. En somme,
On est honnête homme,
On n’est pas mouchard.
On va le dimanche
Avec Lise ou Blanche
Dîner chez Richard.

On les mène à Pâques,
Barrière Saint-Jacques,
Souper au Chat Vert,
On dévore, on aime,
On boit, on a même
Un plat de dessert !


La vie est diverse.
Nous bravons l’averse
Qui mouille nos peaux ;
Toujours en ribotes,
Ayant peu de bottes
Et point de chapeaux.

Nous avons l’ivresse,
L’amour, la jeunesse,
L’éclair dans les yeux,
Des poings effroyables ;
Nous sommes des diables,
Nous sommes des dieux !

Nos deux seigneuries
Vont aux Tuileries
Flâner volontiers,
Et dire des choses
Aux servantes roses
Sous les marronniers.

Sous les ombres vertes
Des rampes désertes
Nous errons le soir,
L’eau fuit, les toits fument,
Les lustres s’allument
Dans le château noir.

Notre âme recueille
Ce que dit la feuille
A la fin du jour,
L’air que chante un gnome,
Et, place Vendôme,
Le bruit du tambour.

Les blanches statues
Assez peu vêtues
Découvrent leur sein,
Et nous font des signes
Dont rêvent les cygnes
Sur le grand bassin.

……
La terrasse est brune.
Pendant que la lune
L’emplit de clarté,
D’ombre et de mensonges,
Nous faisons des songes
Pour la liberté.
                                             19 avril 1847
_____________________                      

* cf. la note  Larsen, une pensée trop « haschée », trop « rappée »

** cf. Sur les murs  l’ignorance
 ***  Laurent Étienne

Les  » tankistes  » bobus de France Culture

   note modifiée le 25.01.11     

Comme d’autres auditeurs, j’ai dû entendre Brice Couturier* prononcer au moins une trentaine** de fois l’expression « think tank », en quarante minutes ! Un record !

Si l’expression se justifie pour présenter un club anglo-américain, je l’accepte volontiers ; mais en français, nous avons l’équivalent avec  « groupe de réflexion ».

J’ai déjà relevé, dans ce bloc-notes, le laxisme  « tankiste » tellement« bobu » et  ravageur pour la langue française, des producteurs de France Culture (« l’intelligentsia »(?). Ils nous abreuvent  de « main stream, de work in progress, de coaching, de gore, de design, de designer et de designer’s day, de relooking, de crash, de fight club, de performer, de podcast, de casting, de timing, de show room, de trash, de people, de live, de buzz, de tweet, de chat, de talk » …etc. etc.   jusqu’à la nausée…

           On remarquera que la «  culture »   véhiculée par ces envies d’Outre- Atlantique n’est bien souvent qu’une reproduction d’un pesant prêt-à-penser affairiste, proche du décervelage.
 
Et si le jargon « tankiste » était une nouvelle façon de parler pour ne rien dire, voire de nous empêcher de réfléchir avec notre belle langue française ?

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NB   Alors que certains s’acharnent contre notre identité nationale, riche d’une pensée et d’une langue qui a magnifié des idéaux universels depuis des  siècles, une oreille attentive peut saisir dans les témoignages de Tunisiens éduqués en  langue française depuis le collège, toute la profondeur et la justesse de leur réflexion démocratique et laïque.
                                         
Cherchons à qui cela peut déplaire ! 

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 *France Culture Du grain à moudre 19.01.2011 Y a-t-il une chance pour une contagion démocratique au reste du monde arabe ?
**  l’exagération serait à mettre au compte de l’agacement Mécontent  et le 25 janvier  mon commentaire n’était pas publié,  encore un effet « tankiste» sur la liberté d’expression  ?   finalement publié dans leurs oubliettes – après le délai de rigueur de 5 jours – le 27 janvier 2011.  

La nuit du 4 août 1789 …

4 août 2010

Note mise en avant le 4 août 2017 pour une comparaison  avec l’actuelle Assemblée nationale et son parti majoritaire de « la République en marche » du président Macron,  ♦ « politicien à la journée » dirait Jaurès.

    –
    Trois semaines après la Prise de la Bastille, alors que la Constituante préparait la Déclaration des Droits de l’homme, la révolution paysanne était en marche…

Voilà ce qu’en écrit Jean Jaurès (1) :

« 
Elle [la Constituante] était tout entière à ce haut et noble travail, quand les premières nouvelles du soulèvement des campagnes lui parvinrent. Elle apprit de toutes parts, dans les derniers jours de juillet et les premiers jours d’août, que les paysans, devançant ou dépassant même par leur action spontanée les décisions du législateur, refusaient le paiement des impôts les plus odieux, comme celui de la gabelle, et des droits féodaux, cens, champart, etc. Ils pénétraient armés dans les châteaux, et, s’abstenant de toute violence contre les personnes, saisissaient et brûlaient les vieux parchemins, les titres anciens et nouveaux d’exploitation féodale. C’était l’abolition violente de tout le système féodal… la grande révolution paysanne s’accomplissant en dehors des formes légales et de la volonté du législateur.
L’émoi fut grand dans l’Assemblée : on eût dit qu’elle hésitait à aborder en face le problème de la féodalité.« 

En cette séance du 4 août, deux membres de la noblesse,  le vicomte de Noailles et le duc d’Aiguillon firent  «  la proposition [qui] était le seul moyen, pour les nobles de retrouver par le rachat l’équivalent des privilèges abandonnés. Les motions de Noailles et  d’Aiguillon, évidemment rédigées d’avance et très calculées jusque dans le détail, attestent … un plan médité et exécuté de sang-froid. (…)
Il serait assez triste, vraiment, que  l’abolition même simulée du privilège féodal fut seulement l’effet d’une manœuvre des nobles, et il serait douloureux que l’âpre voix paysanne n’eût pas retenti, en cette minute historique, dans la grande assemblée bourgeoise, devant ces seigneurs qui venaient d’étaler je ne sais quel sacrifice équivoque où il entrait sans doute, même à leur insu, autant de calcul que de générosité.
Mais un obscur député Le Guen de Kerangall [ propriétaire à Landivisiau, député du Tiers État de la sénéchaussée de Lesneven], de cette province bretonne qui avait tant souffert de la dureté des nobles, se leva, et on eût dit que des souffrances longtemps contenues et comme ensevelies faisaient soudain éclater la terre.
–  » Messieurs, (…) le peuple impatient d’obtenir justice s’empressa de détruire ces titres, monument de la barbarie de nos pères.
Soyons justes, Messieurs, qu’on nous apporte ici les titres qui outragent…l’humanité même. Qu’on nous apporte ces titres qui humilient l’espèce humaine, en exigeant que les hommes soient attelés à une charrue comme les animaux du labourage. (…)
– Qui de nous, Messieurs, dans ce siècle de lumière, ne ferait pas un bûcher expiatoire de ces infâmes parchemins et ne porterait pas la flamme pour en faire un sacrifice sur l’autel de la patrie ?« 

C’est ainsi qu’en cette nuit du 4 août,   la révolution paysanne s’ imposa au législateur, même s’il fallût attendre la Convention et le 17 juillet 1793 pour en finir vraiment avec les droits féodaux.

«  Le texte définitif, rédigé par Du Port, et adopté dans la séance du 6 août fut ainsi conçu :
 » L’Assemblée nationale abolit (2) entièrement le régime féodal ; elle décrète que dans les droits et devoirs tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la mainmorte réelle ou personnelle et à la servitude personnelle, et ceux qui les représentent sont abolis sans indemnité. Tous les autres sont déclarés rachetables, et le prix et le mode de rachat seront fixés par l’Assemblée nationale. Ceux desdits droits qui ne sont point supprimés par ce décret continueront néanmoins à être perçus jusqu’au remboursement.

Dans le journal Les Révolutions de Paris (3), Loustalot …  raconte qu’à la nouvelle des décrets qui abolissaient les privilèges des ordres et la tyrannie féodale les citoyens s’embrassaient dans les rues ; dans les campagnes le retentissement fut immense.« 

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Histoire socialiste de la Révolution française  ( Éditions sociales 1977) Tome I La Constituante (1789 -1791)
Édition revue et annotée par Albert Soboul.

 » C’est le 10 février 1900 que l’on vit apparaître sur les murs de Paris les énormes affiches rouges qui annonçaient aux habitants de la capitale la mise en vente imminente des premières livraisons que les souscripteurs avaient déjà reçues. Elles se succédèrent à un rythme rapide bihebdomadaire. (…) Les derniers fascicules furent publiés en 1903. Cette régularité, cette promptitude n’avaient rien d’exceptionnel : le système en était à l’époque fort répandu et la maison d’édition  populaire Jules Rouff, sise cloître Saint-Honoré, avait déjà publié sous cette forme l’Histoire de France de Michelet et les œuvres de Victor Hugo. (…)
Comme l’écrivait Jaurès dans son « Introduction générale », c’est d’abord au peuple de France, « aux ouvriers, aux paysans » que s’adressait l’Histoire socialiste.(…) 
Il fallait donc rééditer ce livre (…) Qu’il puisse aider enfin ceux qui aujourd’hui prennent au sérieux la vie publique, c’est ce que Jaurès lui-même suggérait le 4 janvier 1914, dans un de ses derniers articles de la Revue de l’Enseignement primaire :
 » L’Histoire ne fournit pas de similitudes complètes et elle ne dispense pas les vivants d’une perpétuelle invention dans le combat. Mais elle suggère d’intéressantes analyses, et surtout elle constate quelques résultats, ♦
elle met en évidence quelques grandes forces que le politicien à la journée pourrait méconnaître ou sous-évaluer, dans la nuée de poussière que soulèvent les pieds des passants.
Parmi ses forces, il faut ranger le prolétariat , qu’il n’est au pouvoir de personne d’éliminer de la vie nationale et internationale. »
Madeleine Rebérioux  [Le Livre et l’Homme (pp.35-51).]

2  Jean Jaurès met le mot  abolition  entre guillemets dans le titre de son paragraphe.

3  n°4  Événements du 2 au 8 août.

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