23 février 2010 note relue le 24 avril 2016 note mise en avant le 10 novembre 2017
Le vrai respect citoyen n’est pas « le respect communautariste ».
En 2008, un professeur en formation à l’IUFM de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis /en 2016 Site ESPE Créteil ) s’écriait : » Hyper réac la morale ! (1) ».
La dé-sanctuarisation des établissements scolaires où l’on voit poignarder un(e) professeur, tuer un(e) camarade de classe, investir un lycée pour blesser un(e) adolescent(e) et terroriser l’ensemble de la collectivité scolaire, nous amène à penser qu’en face de telles situations, il serait temps d’arrêter les formules simplistes pour commencer à réfléchir au(x) sens des mots.
Lorsque l’on entend des élèves* fragilisés par un passé scolaire lourd de comportements violents inadéquats avec la vie en classe et le travail intellectuel, on s’aperçoit que sur le sujet de la violence entre jeunes dans les établissements secondaires, ils ne font référence qu’aux codes des bandes de quartiers.
Ecoutons une collégienne : » Un garçon / il est venu du style à chaque fois/ il me disait/ t’habites où/ t’habites où/ quand je disais X…/ il me regardait trop mal/ Un moment donné/ ça m’a énervée/ ouais comme quoi il faisait trop le nul/ style qu’il allait me taper comme ça/ parce que je viens de X../ j’ai appelé mon frère/ ma mère a appelé ici pour pas que mon frère y vient/ » Elle explique : » Comme ça après t’as peur / Y en a qui font ça pour que toi t’appelles les grands de ton quartier qui viennent et qui se battent en fait/ »
La jeune fille poursuit : » des fois le boug il a sa soeur / et l’autre il va venir/ il habite dans un autre quartier/ il va vouloir faire le mariole avec la soeur/ l’autre va s’énerver/ ou » le mec il est avec sa meuf/ et l’autre il vient /et il essaye de lui tchatcher sa meuf/ »
C’est le code du territoire, » la loi du plus fort « , le » code d’honneur « du petit chef que l’on doit respecter, à qui l’on doit se soumettre ; la soumission supprimant tous les droits de la personne soumise. La loi du chef consiste à se faire obéir aveuglément par celles et ceux qu’il terrorise avec ses menaces et/ ou ses violences. Et cela rappelle de bien lugubres souvenirs.
Les plus jeunes se soumettent à cette loi primitive , et loin de faire appel au personnel enseignant et au personnel de surveillance de l’établissement quand on les menace, – pour ne pas passer pour » des balances / quand tu balances ils t’attendent à la sortie / » la jeune fille le confirme, c’est la loi du silence et la loi du plus fort qu’elle applique avec l’appel au grand frère » / en fait faut les menacer, faut leur faire peur avec le grand frère, le tonton, le grand-père /…pour qu’ils arrêtent/ »
Ainsi dans l’esprit de nombreux élèves, le mot respect signifie soumission. Il est clair pour eux que les professeurs et les conseillers d’éducation ne peuvent être respectés, n’étant pas plus forts que les élèves, ils ne leur font pas peur ; tout comme le règlement scolaire si précieux, si indispensable à la collectivité, pour vivre et travailler paisiblement ensemble. Cette morale citoyenne qui ne menace pas physiquement, ne leur fait pas peur, donc ne leur inspire aucun respect.
Le comble est que ces mêmes élèves qui ne respectent ni le règlement scolaire ni les enseignants, exigent leur droit au respect, puisqu’en perturbant en permanence la vie scolaire, ils pensent être les plus forts. Les adultes auxquels ils lancent une insulte, doivent leur dire poliment : s’il te plaît, sois poli . Et le collégien, au rappel du règlement par la conseillère d’éducation dit : « la capuche je l’enlève / et je la remets/ je me fous de sa tête/ »
Le respect /soumission au petit chef, dont le seul but économique (voire politique ?) est de transformer le quartier en jungle de non-droit, piège les comportements des élèves, et tend à transformer peu à peu l’établissement scolaire en mini-jungle. Ne respecter ni les autres élèves, ni les professeurs, ni les locaux, c’est pour certains élèves, montrer leur allégeance aux chefs de bandes ; c’est s’opposer en permanence au projet éducatif et culturel de l’enseignement public, c’est ruiner tout espoir de réussite scolaire pour eux-mêmes et pour les autres élèves ; c’est accomplir un acte de rébellion envers la pacifique loi citoyenne.
Aussi faudrait-il sérieusement prendre en compte cet autre sens du mot respect dans le langage codé des jeunes, et reconsidérer avec détermination le bien-fondé de l’éducation morale et citoyenne à l’école. L’attribution de postes selon les besoins, une plus grande sévérité des parents en accord avec la fermeté des professeurs, perrmettraient de (ré)instaurer la bonne autorité qui protège parce qu’elle garantit le respect des droits et des devoirs pour tous.
L’enjeu est d’importance. Il s’agit d‘obtenir à nouveau de chaque collégien(ne) et de chaque lycéen(ne), un comportement calme, une tenue correcte, un langage poli, en interdisant évidemment l’usage du téléphone mobile, des écouteurs, de la cigarette, du cannabis, de l’alcool et … des armes… afin que nos établissements publics ne soient plus régis par la loi du respect-soumission au chef de bande, mais (re)deviennent des lieux paisibles, civilisés, où les jeunes intelligences préparent leur avenir.
Alors, Hyper réac la morale ? Non ! Il est temps pour nous tous, de dire avec les enseignants, les collégiens et les lycéens :
Insupportable la violence à l’école !
Inadmissible la soumission à la loi du plus fort !
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1 Hyper réac la morale ! 27 avril 2008
NB voir la note Oui à » La journée de la jupe » de J-P Lilienfeld où la professeur de français n’arrivait à faire son cours sur Molière qu’en faisant peur- à son tour – à ses élèves avec le pistolet confisqué de l’un d’eux, découvert dans sa sacoche …
J’observe également que le respect/soumission passe par le langage des élèves dont la syntaxe inexistante, avec un emploi excessif de formules stéréotypées et de verlan apparaît comme un refus ( plus ou moins conscient) de parler un français correct, celui de la laïcité, celui qui nous relie les uns aux autres ( alors que les codes communautaristes sont des prétextes aux affrontements violents ).
* Citations transcrites de l’entretien d’un conseiller du Centre académique d’aide aux écoles et aux établissements (CAAEE) de l’Académie de Versailles avec des élèves d’un collège de l’Essonne. Reportage de Farida Taher -19.02.10 France Culture Les pieds sur terre –
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