Le général Joffre

 

                                                       Joffre

Premières semaines de guerre

Dans les premières semaines d’août 1914, la guerre était évidemment au centre de toutes les discussions dans les Ateliers clairsemés. On avait échangé d’amères plaisanteries sur la sortie du Président Poincaré quelques semaines plus tôt :  » La mobilisation n’est pas la guerre !  » et l’on commentait le peu d’informations publiées par la presse.
Les journaux exaltaient le patriotisme des soldats qui partaient au combat  » la fleur au fusil « , et l’on placardait des affiches caricaturant ces boches, leur tête de porc et leur casque à pointe… une virulente propagande guerrière qui s’exerçait en direction de la population.

Le 4 août, l’Angleterre avait à son tour déclaré la guerre à l’Allemagne et dès le 9 août, Émile avait vu sur le port de Rouen le  » Laura « , un bateau qui débarquait des troupes anglaises. Ce renfort précoce faisait dire à certains :  » La guerre sera courte ! » 
 Les épouses, les sœurs, les mères n’avaient pas attendu cet appel pour remplacer les hommes aux champs et à l’étable. C’est immédiatement et avec ardeur qu’elles allaient occuper les places vides laissées par les hommes, et pas seulement en zone rurale. L’industrie et en particulier l’armement utiliseront massivement les femmes dans les usines et les ateliers où elles participeront avec courage et compétences à l’effort de guerre.

       Le XVIIème  plan Joffre          
 
 Dans les premiers jours de la guerre, aucune information sérieuse ne filtrait au travers des rares communiqués militaires mais les journaux avaient rapporté des mouvements de troupe en direction de l’Est et des Vosges.Judicieuse décision stratégique de l’état major, pensait-on ! La population civile accordait une confiance implicite à Joffre, sans le connaître autrement que par les déclarations des journaux et les nombreuses photos du général qu’ils publiaient. On respectait ce grand chef qu’on avait choisi, personne n’en doutait, pour ses qualités. 
Depuis la guerre perdue de 1870, l’état major avait élaboré seize plans successifs pour contrer l’Allemagne et Joffre qui en proposait un dix-septième venait d’en décider la mise en application.Le XVIIème plan Joffre devait paralyser les armées ennemies par une attaque massive en Alsace Lorraine et dans les Ardennes avec, pour résultat attendu, de bloquer les armées allemandes aux frontières. Dans la foulée, cette action militaire devait rendre à la France l’Alsace et la Lorraine libérées.

Selon Joffre et son état-major, les armées allemandes ainsi engagées à l’Est ne dépasseraient pas la Meuse dans la région de Metz – Thionville et du Luxembourg, là où l’armée Française les attendait de pied ferme.

Ignorant que les Allemands allaient mettre toutes leurs forces dans la bataille en utilisant leurs troupes de réserve, Joffre avait pensé qu’ils n’auraient pas les effectifs suffisants pour subir son attaque à l’Est et mener simultanément une grande offensive en Belgique et dans le Nord de la France.

Et pendant que Joffre massait les troupes en préparation de son XVIIème plan et de l’offensive qu’il avait décidée pour le 8 août en Alsace Lorraine, les troupes allemandes entraient au Luxembourg le 2 août 1914 ; le 3 elles envahissaient la Belgique et le 20 août, les Allemands occupaient Bruxelles.

Privée de l’aide des armées françaises occupées à l’Est, l’armée Belge ne pourra pas empêcher les allemands de pénétrer en France par le Nord en application du plan Schlieffen, ce plan d’invasion élaboré de longue date par l’état major allemand et dont Joffre avait sous-estimé l’importance.

Cette erreur stratégique majeure qui faillit faire perdre la guerre à la France coûtera à l’armée française plus de quatre cent mille combattants dans les premières semaines de la guerre et facilita grandement l’avancée des troupes allemandes vers Paris début septembre 1914.

 Méconnaissance de la stratégie et des forces ennemies en présence, absence d’artillerie lourde, l’offensive des quatre armées Françaises massées dans l’est est rapidement brisée en Lorraine dès le 20 août, puis trois jours plus tard dans les Ardennes. Le XVIIème plan de Joffre s’effondre et les quatre armées françaises battent en retraite le 23 août pour éviter l’encerclement.

Le 24 août les Allemands entament l’invasion du nord et du nord-est de la France. Par une avance rapide de leur flanc Est, ils vont tenter d’envelopper les armées françaises en retraite et les refouler jusqu’à la frontière suisse.

Dans le sud de la Belgique, la Vème armée du général Lanrezac et les quatre divisions anglaises du général French, seules face à l’invasion allemande arrivant par le Nord sont attaquées à Charleroi et à Mons. Privées de moyens, elles aussi doivent se replier pour ne pas être encerclées.

Ce repli ordonné par le général Lanrezac lui coûtera son commandement mais sauvera les 250.000 hommes de la Vème armée. En repoussant la puissante armée de Von Bulow au delà de l’Oise par une courageuse contre offensive menée à Guise le 29 août, la Vème armée du général Lanrezac retardera l’avancée allemande, contribuant de façon déterminante à l’échec du plan d’invasion allemand.

Le général Lanrezac, l’un des meilleurs stratèges de l’armée Française, s’opposait frontalement à Joffre dont il critiquait la stratégie d’offensive à outrance.  » Attaquons, attaquons… comme la lune ! « , se plaisait-il à chantonner !

Témoin direct de l’incurie du généralissime dont il n’avait pas suivi les ordres de se faire tuer sur place, il sera limogé par Joffre le 3 septembre et remplacé à la tête de son armée par le général Franchet d’Esperey.


       Le  » généralissime  » Joffre           

 

 Au moment de la déclaration de guerre en août 1914, le Président de la République est Raymond Poincaré, le Président du conseil se nomme René Viviani et le général en chef des armées Françaises, c’est Joseph Joffre.

 Joffre avait été nommé commandant en chef des armées trois ans auparavant sur proposition du ministre de la guerre Adolphe Messimy.

Après avoir fait Saint Cyr en 1887 puis l’école de Guerre de 1894 à 1896, Messimy avait quitté l’armée pour la politique. Elu député en 1902, il fut réélu en 1906 et 1910. C’est en 1911 qu’il obtint son premier portefeuille de Ministre des Colonies, suivi, la même année par celui de Ministre de la guerre dans le cabinet Caillaux jusqu’en janvier 1912. Après une interruption de deux ans, Messimy retrouvera quelques mois son poste de Ministre de la guerre dans le cabinet Viviani le 13 juin1914.

Il le quittera le 26 août après avoir choisi de reprendre du service comme chef de bataillon et il sera alors remplacé à son ministère par A Millerand. Adolphe Messimy finira la guerre avec le grade de général de brigade.

 Âgé de quarante deux ans lors de son premier ministère en 1911, Messimy s’était donné pour mission de réorganiser en profondeur l’armée Française. Il va en effet remanier la hiérarchie de commandement jusqu’au sommet. Il dotera chaque armée d’un véritable état major et il va créer un comité d’état-major regroupant les chefs d’armées. Et le plus difficile : il va devoir nommer un chef d’état major général, le chef des armées.

 De Mac Mahon à Boulanger, la IIIème République avait été menacée de plusieurs coups d’états militaires et l’exécutif civil craignait toujours une prise du pouvoir par les militaires. Aussi le ministre Messimy n’avait-il pas choisi entre les généraux à la forte personnalité ou d’un avis contraire au sien, les Pau, Michel ou d’autres comme Lyautey ou Foch qui pouvaient faire de possibles candidats.

Le ministre de la guerre avait conseillé au président du conseil un général sans envergure et politiquement inoffensif : Joseph Joffre. Inexpérimenté et autoritaire, Joffre n’avait pas les qualités qu’aurait dû exiger ce poste mais le gouvernement l’avait précisément choisi pour cela, ce qui devait le rendre manipulable à souhait.

 Et puis Messimy avait suivi le parcours de tous les officiers d’état major et comme eux, il était imprégné de la doctrine de l’offensive à outrance, la doctrine Grandmaison alors en vogue dans l’armée. Cette stratégie dépassée reposait pour l’essentiel sur des vagues d’assaut compactes de fantassins, des offensives menées en rangs serrés par les hommes équipés de fusils et de baïonnettes, des assauts qui devaient se terminer au corps à corps, par l’embrochage de l’ennemi à la baïonnette ou au poignard ! Le commandant en chef qu’il nommerait allait devoir se plier à cette stratégie, et Joffre en avait le profil.

 Officier du Génie, Joffre n’avait aucune expérience de la guerre et il fera en effet montre d’une coupable incompétence dont les effets s’ajouteront à ceux, catastrophiques, de l’offensive à tout prix qu’il entendait faire appliquer à la lettre.

Pour répondre au besoin massif de combattants que cette stratégie impliquait, une des premières mesures prise par Joffre fut d’adjoindre un régiment de réserve à chaque régiment d’active, ce qui revenait pratiquement à doubler les effectifs de fantassins.

Ces vagues successives de soldats se précipitant au coude à coude dans des assauts en rase campagne allaient être hachées, laminées, anéanties par la mitraille et l’artillerie d’un ennemi bien à l’abri, avant d’arriver à son contact, parfois même sans l’avoir aperçu.

 Outre la prévisible application du plan Schlieffen par l’armée allemande, Joffre avait également ignoré les enseignements des guerres du début du siècle. Il n’avait pas su voir combien l’artillerie lourde avait été déterminante et il semblait croire, lui aussi, en l’irrésistible poussée des fantassins motivés par leur seule ardeur patriotique.

 Au début du conflit, il n’envisageait pas non plus d’utiliser efficacement les moyens modernes d’observation ou de communication. Il n’avait aucune confiance dans l’aviation balbutiante et pétaradante et il négligeait l’importance que pouvait avoir l’observation aérienne et les liaisons radio. Ainsi du téléphone de campagne, il avait écrit ce qu’il en pensait dans une note datée du 11 août, au tout début de la guerre :  » Le téléphone constitue un moyen de communication dont il y a lieu de ne pas abuser « …!

Pendant les préparatifs de cette guerre annoncée, Joffre avait ajourné l’ordre de mise en fabrication de gros canons, jugeant suffisante la dotation aux armées du seul canon de 75 et des quelques centaines d’anciennes pièces d’artillerie lourde existantes.

 Le canon français de 75, au tir rapide et certes très performant ne lâchait ses obus qu’à tir tendu, sur des cibles visibles. A ses débuts, il expédiait à cinq ou six kilomètres un obus de sept kilos quand les obusiers ou les mortiers de 210 allemands pouvaient atteindre en tir balistique des objectifs proches cachés à la vue et que leurs canons de 305 expédiaient des obus de cent kilos à plus de dix kilomètres par delà les collines !

 Ainsi, au tout début de la guerre, l’armée française comptait 3.800 canons de 75 et 300 vieux modèles de canons lourds, un arsenal complété de quelques mortiers de 220. Chaque corps d’armée était équipé de 340 canons de 75 tractés le plus fréquemment par un attelage de quatre à six chevaux. Pas de matériel lourd à l’échelon des régiments ni même des divisions ou des corps d’armée, les grosses pièces d’artillerie restaient à disposition des armées.   

 Coté français, peu de canons de fort calibre, pratiquement pas d’obusiers ni de mortiers. Les troupes étaient équipées de mitrailleuses, mais pas à l’avant, car au début de la guerre on les réservait encore en défense à l’arrière. En face, chaque corps d’armée allemand disposait d’un parc d’artillerie de 850 canons, de 50 obusiers et de 128 mortiers de 210 en partie autotractés ou disposés sur voie ferrée ! Ce n’est qu’en juillet 1916 avec l’offensive de Somme que les armées Françaises seront enfin dotées de matériel lourd en quantité suffisante.

 

 

1914-21

 Aquarelle de Georges Scott   –  L’Illustration – 16 décembre 1916

Et puis les fantassins français de 1914 étaient encore habillés comme les lignards de 1870 de tuniques bleues, d’un pantalon rouge garance visible de très loin et d’un képi de feutre rouge heureusement masqué en opération par une housse de toile bleue. Rien pour se protéger la tête !

 Il faudra attendre début 1915 pour que l’armée soit équipée de tenues bleues moins voyantes, et l’été 1915 pour que les combattants soient enfin pourvus de casques métalliques.

          … à suivre…          …………………………………………………

  

Les socialistes français, Jules Guesde en tête s’étaient ralliés au gouvernement de la République, aux cotés des Maurrassiens de l’Action Française et dans ce contexte patriotique « d’Union Sacrée », nombre de réservistes des Ateliers déjà mobilisés avaient accepté résolument de partir défendre la patrie contre l’agression étrangère. Il n’y eut pas de mouvements de désertion, peu de réfractaires.    

 Ce sont les plus jeunes surtout, qui avaient montré une ardeur patriotique, une détermination que l’on observait cependant moins chez leurs aînés. Certains ouvriers qui avaient de la famille à la campagne témoignaient même de la franche hostilité des citoyens – soldats dans ces zones rurales où la mobilisation intervenait en pleine période des moissons. Il fallait terminer le travail de l’été, démarrer les vendanges, rentrer les récoltes, préparer les suivantes.
Pour faire face à ce mécontentement et à l’urgence de la situation en milieu agricole, le Président du Conseil Viviani avait lancé le 7 août 1914 un appel aux paysannes Françaises à se mobiliser sur place pour prendre la relève des hommes partis se battre :  « … Debout, femmes de France ! Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille… montrez-leur demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés…Debout ! A l’action, au labeur, il y aura demain de la gloire pour tout le monde…! « .

Les commentaires sont clos.